Navigation

Connexion

Connexion à votre compte

Identifiant
Mot de passe
Maintenir la connexion active sur ce site

Nos visiteurs

Aujourd'hui418
Hier417
Cette semaine1646
Ce mois8194
Total489776

21/11/24

Ligne Maginot

Comment fonctionnaient les projecteurs blindés.

 

Photo4recadree

 

Plus d'un visiteur des ouvrages et casemates d'infanterie de la Ligne Maginot se sont un jour interrogés sur le pourquoi de ces étranges appareils métalliques plantés ou nichés dans le béton à l'extérieur des "bunkers", sans vraiment obtenir une réponse satisfaisante. Il leur est parfois donné comme seule explication : " c'est un phare pour éclairer la nuit ", point final.

Ayant retrouvé une petite notice de 1939 sur le fonctionnement de ces "phares", essayons d'apporter ici un complément d'information sur cet accessoire si fréquent encore aujourd'hui au pied des casemates d'infanterie CORF, même si le plus souvent il n'en reste plus que le blindage vide.

Principes d'emploi

Les projecteurs de casemate avaient pour mission d'éclairer pendant la nuit le champ de tir des mitrailleuses de flanquement. Le projecteur, protégé par une niche blindée fermée par un volet, est installé à l'extérieur de la casemate et défilé dans une certaine mesure aux vues et aux coups par la casemate elle-même.

Avant tout, le projecteur doit être conjugué avec une cloche de guetteur qui a des vues sur le champ éclairé. Dans cette cloche sont placés l'interrupteur d'allumage du projecteur et les organes qui permettent de diriger le faisceau lumineux. En principe c'est donc le guetteur qui est chargé de l'utilisation du projecteur.

Selon les principes généraux d'emploi du projecteur, la durée de fonctionnement doit être courte pour deux raisons :

- il ne faut pas donner à l'ennemi le temps de repérer le projecteur et de le détruire par un tir ajusté,
- par suite de la grande mobilité des objectifs à observer et à neutraliser (groupe d'hommes), l'efficacité du projecteur ne pourra être obtenue que par un effet de surprise de très courte durée.

En principe le projecteur ne sera donc utilisé que par "touches brèves". Dans certains cas, par exemple quand la pente du terrain observé sera régulière dans toutes les directions, un effet de balayage pourra être effectué. Mais il faudra alors conjuguer l'action du projecteur avec celle des jumelages de mitrailleuses ce qui ne va pas sans quelques difficultés.

Le projecteur peut être aussi utilisé au profit d'observateurs placés dans les intervalles.

Le faisceau lumineux peut éclairer dans son orientation extrême vers l'assaillant un objectif situé à 100 mètres environ de distance sur la ligne droite qui limite vers l'avant le champ de tir des armes (voir schéma n° 1). L'axe du champ éclairé est à peu près parallèle à l'axe du champ de tir. Sur le terrain on peut donner au projecteur toutes les orientations correspondant aux missions des jumelages de mitrailleuses.

  • Les photos s'affichent en taille réelle au clic de souris.

Schema-1-Projecteur

Portée

La portée du projecteur pour un objectif constitué pour l'observateur du bloc, par exemple, d'un groupe de 4 hommes en marche accroupie, par temps clair, peut varier suivant les conditions locales de 300 à 600 mètres. Pour un observateur placé dans l'intervalle la portée peut dépasser 1000 mètres. La bande éclairée à 300 mètres perpendiculairement à l'axe du faisceau est de 30 mètres environ.

Description de l'installation

Chaque installation comprend :

- un projecteur,
- une niche blindée montée sur un mât support ou ancrée dans un massif de béton,
- un treuil et ses accessoires pour la manœuvre du volet de la niche,
- un dispositif de commande électrique,
- l'appareillage électrique nécessaire au fonctionnement, contenu dans un coffret mural,
- le câblage électrique de liaison.

Le projecteur lui-même est monté sur un support en forme de lyre et peut tourner autour d'un axe horizontal. La lyre peut, à son tour, prendre un mouvement de rotation autour d'un axe vertical.

Les amplitudes des mouvements de site (c'est-à-dire vers le haut ou le bas) et d'azimut (c'est-à-dire vers la droite ou la gauche) que l'on peut obtenir sont de cet ordre :

- site : 30° au-dessus et au-dessous du plan horizontal,
- azimut : 30° à droite et à gauche (d'un plan vertical origine).

En fait l'amplitude du mouvement utilisée pour le site dépendra de la topographie du terrain à éclairer et pourra être très faible et même nulle dans certains cas.

Fonctionnement

  • Les dièzes [ # ] vous informent davantage au survol de la souris.

Les mouvements dont il vient d'être question sont produits par un système de télécommande électrique dont la manœuvre est effectuée par deux appareils identiques appelés "transmetteurs" (transmetteur de site et transmetteur de direction). Ils sont placés dans la cloche de guet à la disposition du guetteur. Ces transmetteurs sont gradués en degrés et sont étalonnés en fonction des directions à éclairer.

Dans le cas où il n'y a qu'une seule cloche de guet pour deux chambres de tir, deux des transmetteurs sont placés dans l'une des chambres de tir.

L'ensemble du support du projecteur et des moteurs électriques de mouvements est appelé "récepteur" de la télécommande électrique. Le projecteur et le "récepteur" sont placés à l'intérieur de la niche blindée située à l'extérieur de la casemate ou du bloc.

L'ouverture et la fermeture du volet de la niche blindée sont obtenues au moyen d'un câble souple de 4 à 5 mm de diamètre partant du treuil de manœuvre du volet situé à l'intérieur de la casemate ou du bloc. À son autre extrémité ce câble aboutit sous la niche blindée à un levier de manœuvre d'ouverture. Avant d'atteindre le levier, le câble s'enroule autour d'un tambour qui fait office de treuil #1Le passage de ce câble par une gaine à travers le béton de la casemate n'est foré qu'une fois le mât du projecteur positionné et scellé dans son socle bétonné. En outre une ou deux poulies de renvoi sont fixées sur le mur extérieur de la casemate. Enfin, le câble dans son trajet extérieur et la ou les poulies devaient être protégés respectivement par un tube en acier et un dispositif métallique d'au moins 10 mm d'épaisseur.. Le volet se referme automatiquement par son seul poids, l'axe des charnières étant légèrement oblique.

Installation électrique

Le courant électrique nécessaire pour le fonctionnement passe à l'intérieur du coffret d'appareillage placé au voisinage du pied de la cloche de guetteur. Ce coffret comporte sur sa partie droite :

- un interrupteur qui commande le circuit d'alimentation de la télécommande électrique,
- un volant qui doit être actionné pour le réglage précis du courant d'alimentation du projecteur.

Le faisceau lumineux du projecteur est déclenché au moyen d'un interrupteur placé à l'intérieur de la cloche, à portée de la main du guetteur (voir schéma n° 2).

La lampe du projecteur est construite pour tenir pendant une durée de 100 heures à condition qu'elle soit parcourue par un courant électrique de 10,5 ampères au maximum. La durée de fonctionnement tomberait à 20 heures si l'intensité était portée à 11 ampères. On règlera donc auparavant l'intensité du courant au moyen du volant placé sur le coffret d'appareillage. Ce réglage doit rester valable toute la nuit à la condition que le groupe électrogène de la casemate conserve la même marche. Si l'on dispose d'une réserve de lampes suffisante et si la situation l'exige on pourra augmenter l'intensité de fonctionnement sans toutefois dépasser l'intensité de 11 ampères.

Chaque projecteur est doté initialement de 3 lampes dont deux de rechange placées dans un coffret. Ces lampes ont un culot à trois ergots dissymétriques et ne peuvent être placées dans la douille que dans une position déterminée.

Schema-2-Projecteur

Mise en œuvre de l'installation

  1. S'assurer que le réseau électrique est sous tension.
  2. Régler le courant du projecteur en manœuvrant le volant placé sur le coffret d'appareillage. Le volet de la niche devra rester fermé durant cette opération.
  3. Mettre l'interrupteur du coffret d'appareillage sur la position "marche".
  4. Placer le volet de la niche en position d'ouverture. La niche ne devra rester ouverte que pendant les périodes d'utilisation possibles du projecteur et devra en tous les cas être fermée avant le lever du jour.
  5. Vérifier la concordance des mouvements du projecteur et des transmetteurs. Après ces opérations le projecteur sera en état de remplir son service.
  6. En cas de non fonctionnement, vérifier si les fusibles à l'intérieur du coffret d'appareillage n'ont pas fondu. Dans l'affirmative remplacer le fil fusible (fil de 10 ampères).

Entretien

Avant la mise en place de la lampe du projecteur on s'assurera que le verre de la lampe est très propre et qu'il est tenu par des mains très propres. Pour la bonne conservation du miroir du projecteur il est essentiel qu'on n'y touche pas avec les doigts et qu'on ne l'essuie pas. Si on constate que des poussières sont déposées sur le miroir on les enlèvera au moyen d'un pinceau à plumes et par de très légères touches. Enfin, il est formellement interdit de procéder à un démontage ou à une réparation quelconque du matériel. Ces opérations doivent être exclusivement effectuées par le personnel du service de dépannage des installations électromécaniques.

Quelques caractéristiques

- poids de la niche blindée : 1 350 kg dont 500 kg pour le volet blindé.
- épaisseur du blindage : 4 à 6 cm pour le bâti, 10 cm pour le volet.
- puissance de la lampe : 250 W sous 24 V et 10,5 A.

Rappelons enfin qu'il existait au moins deux modèles de niche blindée : l'un avec ouverture du volet vers la droite (type D), l'autre vers la gauche (type G). Combien d'exemplaires ont-ils été construits ? A défaut d'en connaître le nombre exact, on peut l'estimer, compte tenu du nombre de casemates d'infanterie et autres blocs équipés, à quelques 750 à 800 unités, peut-être plus #2Dans certains secteurs de la Ligne Maginot, à défaut des projecteurs blindés non livrés, les casemates étaient équipées de projecteurs plus rustiques et moins protégés, probablement issus de petites séries de fabrication locale ou régionale..

Derniers exemplaires...

Il reste très peu d'exemplaires de projecteurs intacts et complets de nos jours. On peut en voir plus ou moins complets sur les sites ouverts au public suivants :

casemate Esch (deux niches sans projecteur à l'extérieur, un projecteur en exposition à l'intérieur),

ouvrage du Simserhof (projecteur seul, hors niche blindée),

ouvrage de Rohrbach (Fort Casso, plusieurs niches blindées, un projecteur en expo dans l'ouvrage),

ouvrage du Bambesch (projecteur seul, hors niche blindée),

casemate d'Edling-Sud (complet, projecteur et niche blindée),

abri du Zeiterholz (complet, projecteur et niche blindée préservés dans l'abri),

casemate du Grand Lot (deux niches à l'extérieur, deux projecteurs hors niches blindées, préservés dans la casemate).

                                                                                                                     J.B.W.

 

Photo-1-Projecteur-Denkschrift

Photographié en 1940 par les Allemands, ce projecteur complet et intact révèle ses composants intérieurs. On devine même le fin câble d'ouverture du volet de la niche blindée (Denkschrift 1941).

Photo-2-Projecteurs-Ottmarsheim-Sud

Les deux projecteurs de la casemate Ottmarsheim-Sud photographiés en 1940 par les Allemands (collection Henri Berger). La niche blindée nord est aujourd'hui préservée sur le site de la casemate de l'Aschenbach à Uffheim.

Photo-3-Projecteur-abri-Zeiterholz-1991

Absolument complet et même en état de fonctionner dans sa niche blindée, ce projecteur demeure dans un ouvrage de la région de Thionville. On voit parfaitement la lyre supportant le projecteur et fixée sur le bâti du moteur de mouvement en direction. Sur la gauche du projecteur se trouve aussi le moteur vertical de mouvement vers le haut ou le bas.

Photo-4-Cte-Esch-3D

Reconstitution infographique d'une casemate d'infanterie (casemate Esch, Secteur fortifié de Haguenau) avec ses deux projecteurs nord et sud (doc. AALMA, infographie de Fritz Lerch).

 

Photo-5-Cte-Esch

Le projecteur conservé et exposé à l'intérieur de la casemate-musée Esch. On voit bien ici les deux petits moteurs de site et d'azimut (doc. AALMA).

 

Photo-6-Rohrbach

Le petit ouvrage de Rohrbach-lès-Bitche (Fort Casso) possède plusieurs niches blindées pour projecteur. Celle-ci est visible à proximité de l'entrée de l'ouvrage. On peut remarquer, entre autres, sur la droite de l'arrière de la niche, le levier d'ouverture du volet blindé (doc. Fort Casso).

 

Photo-7-Projecteur-coffret-ouvert

Le coffre d'appareillage ouvert révèle l'ensemble de ses composants, de haut en bas : l'ampèremètre, les entrées des câbles, les fusibles, l'interrupteur bipolaire manoeuvrable de l'extérieur du coffret, le transformateur à shunt magnétique manoeuvrable de l'extérieur du coffret par un volant de réglage de la tension. Le câblage est cependant en grande partie absent ici.

 

Photo-8-Projecteur-Grand-Lot-1     Photo-9-Projecteur-Grand-Lot-2

Vues avant et arrière de l'un des deux projecteurs préservés dans la casemate du Grand Lot (Moselle), avec ses deux petits moteurs d'orientation et le câblage électrique.

 

Photo-10-Projecteur-ampoule-Grand-Lot

Vue de l'une des très rares ampoules de 250 W sous 24 V et 10,5 A qui existent encore.

Documentation

- Notice sur l'installation des projecteurs de casemate. 18 août 1937 / 1939.
- Notice sur la mise en œuvre et le fonctionnement des projecteurs de casemate. DM n° 2705 2/45 du 3 mars 1939.
- Note sur l'installation des projecteurs de casemate. Sans date, probablement 1939 (fusionnement des différents documents relatifs à cette question).

 

Remerciements à Robert Haag, Joseph Heintz (AALMA, casemate Esch), Dominique Kemmel, Fritz Lerch, Frédéric Lisch, Bernard Morvan (fort Casso), Robert Varoqui (Hackenberg) et tout spécialement à Albert Boudrenghien (casemate du Grand Lot), pour leurs contributions respectives.