Sommaire
Aux confins du Sundgau, à deux pas de la frontière franco-suisse, dorment depuis 85 ans sous une épaisse couverture forestière d'étranges vestiges bétonnés d'un autre temps. Comment sont-ils venus là ?
Dans les années trente, avec le réarmement allemand et les menaces qu'il faisait peser sur les voisins de l'Allemagne, les états-majors français n'excluaient pas, entre autres hypothèses, un franchissement du Rhin par les troupes du Reich à la faveur des ponts de Bâle et surtout, un contournement de la Ligne Maginot par le territoire suisse.
Un renforcement des défenses de la branche sud de la Ligne Maginot s'est donc imposé dès 1934 et s'est traduit sur le terrain par l'édification de puissantes batteries d'artillerie capables de battre de leurs feux toutes les voies de passage obligées, tant françaises que suisses. C'est l'historique de ces batteries que nous nous proposons d'évoquer ici.
1935. L'essentiel de la Ligne Maginot est en voie d'achèvement. La CORF #1CORF, Commission d'Organisation des Régions Fortifiées, 1927-1935. qui l'a réalisé sera dissoute dans quelques mois #2Elle fonctionna cependant jusqu'en janvier 1936., cédant la tâche de fortifier les frontières aux Régions militaires. À l'ère des " anciens fronts " solides et puissants succède celle des " nouveaux fronts " de 1935 à 1938, ces prolongements et bouche-trous qui doivent colmater les vides laissés dans les premiers #3Secteurs de Rohrbach-lès-Bitche, Montmédy, Maubeuge, Valenciennes..
En 1934 dans le sud de l'Alsace, la double ligne des casemates du Rhin se termine avec l'ouvrage 63/3 Hombourg-Sud. À la demande des Suisses, les traités de Paris de 1815 interdisent en effet l'édification de fortifications à moins de 12 kilomètres (trois lieues) de Bâle. Une attaque allemande avec franchissement du Rhin supérieur, voire à travers le territoire suisse, n'étant pas exclue, la CORF soumet dès 1933 un projet de position circulaire entre Kembs et le Jura alsacien en évitant Bâle #4Sous la direction du gén. Belhague la CORF effectuera les 11 et 12 avril 1934 une reconnaissance du terrain entre Sierentz et Bettlach..
Des grands projets à la peau de chagrin
Le 20 avril 1934, la CORF présente à la 20e Région un projet d'organisation du Secteur fortifié d'Altkirch #5qui deviendra Secteur défensif puis de nouveau Secteur fortifié le 16 mars 1940., soit de Sierentz au Glaserberg sur un front de 20 km, une ligne d'ouvrages permanents conforme aux principes de la CORF. Ce projet comporte initialement :
- un petit ouvrage d'infanterie à Uffheim, deux blocs,
- un ouvrage d'artillerie à Magstatt,
- un petit ouvrage d'infanterie à Stetten, deux blocs,
- un petit ouvrage d'infanterie à Helfrantzkirch, deux blocs,
- un ouvrage avec tourelle de 81 à Bettlach, 4 blocs,
- un ouvrage avec tourelles de 75 et de 81 à Oltingue, 4 blocs,
- un ensemble infanterie-artillerie sur le Glaserberg, 12 blocs,
- une cinquantaine de casemates d'intervalles.
Ce schéma consiste à établir deux centres de résistance, celui de Sierentz-Uffheim-Magstatt-Stetten au nord, de Bettlach-Eichwald-Glaserberg au sud. En particulier, la mission de l'ouvrage du Glaserberg est, entre autres, " de battre les voies de pénétration venant de Laufen et de Delémont, ainsi que celle passant par le col des Rangiers, battre la vallée de la Birse et celle de la Lucelle en aval de Neuf Moulin " #6Tous objectifs situés en territoire suisse..
Il est aussi précisé que " ... l'artillerie d'action lointaine pourra atteindre les points de passage sur le Rhin dans les régions de Bellingen et de Huningue, .... ".
En avril 1936 il est toujours question des ouvrages à tourelles d'artillerie de Stetten, Bettlach, Oltingue et du Glaserberg #7Message du 1er avril de la Direction du Génie (Belfort) à la Direction du Génie (Paris)., ainsi que de 35 casemates d'intervalles du type CORF (canons de 47, jumelages, armes mixtes) entre Sierentz et le Glaserberg.
On sait que pour des raisons de coût et d'implantation dans un terrain peu favorable, avec la dissolution de la CORF, ce projet n'a pas été réalisé tel quel et remplacé sur le même tracé par une ligne d'ouvrages STG plus économiques #8Solution déjà envisagée en 1935 et vivement critiquée par la CORF (courrier du gén. Belhague au ministre de la Guerre daté du 12 mars 1935)..
Extrait de la carte d'état-major au 1:50 000, feuille d'Altkirch, datée du 26 août 1939, et centré sur le secteur du Willerhof. Le programme des travaux de 1937 associe étroitement ceux des positions d'artillerie à ceux de la Ligne Maginot.
Une note du 28 novembre 1936 du ministre de la Guerre au chef d'état-major de l'armée insiste sur le risque d'attaque brusquée et de débordement des organisations françaises par le territoire suisse entre Bâle et le Jura alsacien. Il y est aussi question " d'établir dans la région de Berentzwiller l'artillerie sous casemate nécessaire pour battre les débouchés de Bâle, les ponts sur le Rhin et leurs accès à l'est du Rhin ". Dans la même note il apparaît que les travaux ont déjà commencé sur la ligne générale Sierentz-Glaserberg.
Mais par une lettre datée du 1er février 1937, le ministre de la Guerre informe la 7e Région à Besançon que les crédits affectés à la défense de la frontière franco-suisse n'excèderont pas 150 millions de francs. C'en est donc fait des grands projets de la CORF. Concernant l'artillerie lointaine, " Les casemates pour matériels de 240 destinés à la destruction des ponts de Bâle seront construites aux emplacements prévus et avec la protection également prévue. Les 8 pièces de 150 destinées à l'interdiction des ponts de Bâle seront installées dans l'Eichwald à leurs emplacements de tir, abritées simplement contre les intempéries mais avec abris à l'épreuve pour le personnel et les munitions ".
Au 3 mars 1937 le programme des travaux de 1ère urgence mentionne sous " Centre de résistance de Bettlach " :
- 2 casemates de 240 (protection 3)
- 2 casemates de 155 C (protection 3)
- 1 casemate double de 75 (protection 3)
- 10 abris légers de pièces (8 de 155, 2 de 240) avec niches à munitions (50 coups par pièce)
- 4 abris à munitions de section (protection 2, 100 coups par pièce)
- 2 abris à munitions de batterie (protection 2, 150 coups par pièce)
- 2 postes de commandement (protection 2)
- 3 blockhaus doubles type 3 S.T.G. (protection 2)
- 6 blockhaus simples
- 2 km rails antichars
- 12 km de réseaux (l = 6 m)
- routes, divers et imprévus.
À la mi-1937 la chefferie des travaux de fortification de Belfort édite une fiche de renseignements sur l'état d'avancement des casemates d'artillerie de 75 du programme 1937. On y constate que le gros-œuvre et les aménagements intérieurs des 7 casemates de 75 du SF Altkirch seront terminés en juillet et août. Les 14 canons de 75 sont en place provisoirement, définitivement en août et octobre.
Plan de construction d'un emplacement pour canon de 155 L de la batterie du Willerhof.
Au début de juin 1938, l'état d'avancement des travaux du programme de 1937 est le suivant #9Inspection du gén. de div. Griveaud, Inspecteur général du Génie et des Fortifications les 8 et 9 juin 1938. concernant le Centre de résistance de Bettlach :
- 11 blockhaus d'infanterie (4 du type STG et 7 de type spécial)
- 3 postes de commandement
- 2 casemates de 75
- installations destinées à l'artillerie d'action lointaine de l'Eichwald (8 pièces de 155 L et 4 pièces de 240) en cours d'achèvement. Leur équipement en matériel et munitions d'artillerie commencera le 15 juin et sera terminé pour le 1er août 1938.
Il n'est alors plus question de casemates de 240 et de 155 mais de plates-formes (avec abris à personnel et à munitions) pour 8 pièces de 155 L et 4 pièces de 240 destinées à une action lointaine sur les ponts de Bâle. Les bétonnages des batteries du Willerhof se présentent donc à ce moment-là telles qu'on peut encore les voir aujourd'hui. Le rapport Griveaud conclut " Au total les centres de résistance de Sierentz et de Bettlach, bien qu'ils n'aient pas une grande profondeur, constituent dès maintenant dans leur état actuel des môles de résistance solides " #10Des renforcements en ouvrages d'artillerie et d'infanterie seront encore proposés (centres de résistance de Stetten, Ranspach-Haut, Trois-Maisons) mais, à l'exception du barrage de route des Trois-Maisons, faute de crédits ils ne verront pas le jour..
La Suisse et la Ligne Maginot
La prise du pouvoir par Hitler en 1933 et le réarmement allemand inquiètent la Suisse, malgré sa neutralité, acquise en 1815. Située en étau entre l'Allemagne au nord et son remuant voisin Mussolini au sud, la Suisse pouvait craindre, entre autres hypothèses, un franchissement du Rhin en amont de Bâle par les Allemands et une attaque sur le territoire français en contournant le sud de la Ligne Maginot par le territoire helvétique.
Quand à la France à l'ouest, moins belliqueuse par nature mais possédant une armée puissante, la Suisse ne pouvait exclure une entrée de l'armée française sur son territoire en cas d'agression de l'Allemagne ou de l'Italie. Le 30 août 1939, à la veille de la guerre, le gouvernement de Berne nomme à la tête de l'armée suisse le général Henri Guisan (1874-1960) #11Le grade de général n'est décerné en Suisse qu'en situation de circonstances exceptionnelles.. Auparavant déjà, craignant avant tout une offensive de l'armée allemande sur la Suisse, Guisan, alors colonel, avait pris des contacts secrets avec l'état-major français #12En qualité de représentant de la République française, Pétain lui-même avait été invité en 1937 à la tête d'une mission militaire aux manœuvres de la 1ère division suisse.. Mais surtout, à la fin des années 1930, une série de rencontres très secrètes sont organisées à Paris, dans le vignoble vaudois et ailleurs entre officiers de haut rang suisses et français.
Le général Henri Guisan (1874-1960), commandant en chef de l'armée suisse pendant la guerre 1939-1945.
À la même époque et plus officiellement, Guisan assiste en uniforme aux manoeuvres de l'armée française en Normandie au cours desquelles il se rapproche des généraux Gamelin et Georges. Il faut dire que l'armée française d'alors passe pour l'une des plus puissantes du monde et que la Suisse ne voit qu'elle pour lui venir en aide en cas d'attaque allemande.
La France de son côté, à mesure que se rapproche la Seconde Guerre mondiale, accorde de plus en plus d'importance au "front suisse" qui doit empêcher Hitler de contourner la Ligne Maginot par le sud. Aussi les contacts militaires franco-suisses s'intensifient-ils progressivement.
En automne 1938 le colonel Guisan est personnellement invité à reconnaître la Ligne Maginot entre Strasbourg et Sélestat #13Venu en train et en civil depuis Berne, Guisan est accueilli à Strasbourg par un certain colonel Jean de Lattre de Tassigny, alors chef d'état-major du gouverneur militaire, le gén. Héring. Ayant fait ensemble l'Ecole de Guerre à Paris les deux hommes se connaissent bien., ainsi que les positions françaises du groupe d'armées 3 autour de Belfort et dans le Jura français.
En 1939, de nouveaux pourparlers secrets aboutissent aux contacts du 30 juillet au QG de Vincennes et à diverses mesures concrètes. L'une d'elles prévoit, en cas d'irruption de troupes allemandes en Suisse, l'intervention de forces françaises aux côtés de l'armée suisse.
Le 16 août 1939 le dispositif du Secteur défensif d'Altkirch est inspecté par le général Gamelin, chef d'état-major de l'armée française, accompagné de Winston Churchill, Premier Ministre britannique, du général Spears, chef d'état-major anglais et... du futur général Guisan, commandant en chef de l'armée suisse ! Selon un témoin de l'époque, Guisan, accompagné d'une vingtaine d'officiers supérieurs, aurait également visité en 1940 les positions d'artillerie du Sundgau et approuvé le plan de feu visant, entre autres, les ponts de Bâle sur le Rhin.
À la même époque, la Suisse entreprend d'un bout à l'autre du pays un gigantesque programme de fortification digne de la Ligne Maginot mais infiniment moins linéaire #14Voir dans ce même site les pages "Incroyable fortification helvétique – Regards sur les ouvrages fortifiés suisses"..
Le 159e RAP
Sur l'insigne du 159e RAP on reconnaît bien le lion de Belfort de Bartholdi, une tourelle crachant le feu sur fond de montagnes vosgiennes, avec un fond général de forteresse Vauban bastionnée (Drago, 1938 ou 39).
D'abord régiments d'artillerie à pied, les RAP deviennent officiellement régiments d'artillerie de position en 1923. Le 159e RAP a fait campagne en 1914-1918 puis est dissous en juillet 1919. Il est reformé en avril 1923 et devient 169e RAP. En 1937 il est reconstitué 159e RAP à partir d'éléments du 188e Régiment d'artillerie lourde à tracteurs, et tient traditionnellement garnison à Belfort avec des groupes mobilisés en 1939 à Mulhouse, Altkirch et Héricourt. En 1940, le régiment est commandé par le Lt-colonel Deshayes et son PC est à Altkirch puis à Bisel.
À la mobilisation d'août 1939, le 159e RAP du temps de paix se dédouble pour donner naissance aux 159e et 170e RAP du temps de guerre, ce dernier prenant garnison à Colmar et Pontarlier. Le 159e RAP de guerre est mis sur pied à Belfort fin août 1939, il est alors composé de 6 groupes numérotés de II à VII, le Ier groupe devenant le 27 août 1939 le I/170e RAP. Son rôle est de fournir l'artillerie des Secteurs fortifié de Mulhouse et défensif d'Altkirch ainsi que de la Région fortifiée de Belfort et du Secteur fortifié du Jura. Le régiment est doté d'un grand nombre de pièces très diverses (47, 75, 105, 120, 150, 155, 240) mais de faibles moyens de transport.
Pièce de 240 mm Mle 1884 d'exercice et en ordre de route aux quartiers du 159e RAP à Belfort-Danjoutin en 1937 (DR).
Les six groupes d'artillerie se déployaient comme suit :
- IIe groupe : S.F. de Mulhouse puis 105e DIF #15Division d'infanterie de forteresse. le 16 mars 1940,
- IIIe et IVe groupes : S.D. puis S.F. d'Altkirch, 45e CA après le 27 mai 1940,
- Ve groupe et E.M. : R.F. de Belfort puis 44e CA après le 16 mars 1940,
- VIe groupe : S.D. puis S.F. d'Altkirch puis 44e CA #16Corps d'armée. après le 16 mars 1940,
- VIIe groupe : S.D. de Montbéliard.
Concernant plus spécialement le S.F. d'Altkirch, la 5e batterie du IIIe groupe occupait les casemates d'artillerie STG de Sierentz-Uffheim avec 6 pièces de 75 Mle 1897-1933. Elle avait en outre 8 matériels de 75 Mle 1897, 4 matériels de 155 C Saint-Chamond Mle 1915, 4 matériels de 155 L Mle 1877.
Quand à la 6e batterie du IVe groupe, elle tenait les quatre casemates d'artillerie STG du secteur Bettlach-Oltingue-Raedersdorf avec 8 pièces de 75 Mle 1897-1933.
Enfin, les 10e et 11e batteries du VIe groupe #17Dans un courrier à l'auteur daté de juillet 1992 le colonel Texier ne parle que de 6e batterie du 159e RAP transformée à la mobilisation en 6e groupe, définitivement implanté au camp du Willerhof au printemps 1938. De janvier à juin 1940 ce groupe était commandé par le capitaine Bauer. avaient en charge les positions d'artillerie du Willerhof, de Wentzwiller et Hagenthal-le-Bas, soit 8 matériels de 155 L Mle 1916 et 4 matériels de 240 Mle 1884.
Les ouvrages
Situées à 25 km au sud de Mulhouse et à 15 km au sud-ouest de Bâle, dans les forêts du Breitenhag, de l'Eichwald et du Strengwald, les batteries bétonnées du Willerhof ont été établies sur quatre emplacements distincts. Construits en 1938, ceux-ci comprennent au total quatre plates-formes de 240, huit de 155, quatre magasins à munitions et huit abris dont deux PC de batteries, sans parler de la casemate d'artillerie du Breitenhag et ses deux 75. À noter que la ligne des ouvrages Maginot passe à moins d'un kilomètre à l'est des batteries.
Détaillons un peu chaque batterie, du nord au sud, état actuel :
- Batterie du Willerhof (commune de Muespach) :
- deux plates-formes de 155 et un abri-PC pour personnel au nord. Direction du tir : nord-est, càd. vers Bâle et la rive allemande du Rhin.
- deux plates-formes de 155 et un abri-PC pour personnel au sud. Direction du tir : sud-est, càd. vers tous axes routiers sur territoires français et suisse proches.
- un magasin à munitions central commun.
- Batterie du Breitenhag (commune de Muespach-le-Haut) :
- deux plates-formes de 240, un abri-PC pour personnel, un magasin à munitions. Direction du tir : nord-est, càd. vers Bâle et la rive allemande du Rhin.
- Batterie de l'Eichwald (commune de Fislis) :
- quatre plates-formes de 155, deux abris-PC pour personnel, un magasin à munitions. Direction du tir : sud-est, càd. vers tous axes routiers sur territoires français et suisse proches.
- Batterie du Strengwald (commune de Linsdorf) :
- deux plates-formes de 240, un magasin à munitions, un abri-PC pour personnel. Direction du tir : nord-est, càd. vers Bâle et la rive allemande du Rhin.
Plan schématique de la section de 240 du Breitenhag (d'après Denkschrift 1941 et Jean-Yves Mary).
Dans un courrier de novembre 1993 à l'auteur, le lieutenant (en 1940) Schmidt raconte à propos de la section de 240 du Breitenhag qu'il commandait : " Cette position avait bien un abri bétonné pour le central téléphonique et pour le personnel en cas de bombardement, mais rien pour le logement et la cuisine. Heureusement dès notre arrivée, une équipe de bucherons a fait une coupe pour dégager le champ de tir. C'est avec les grumes que nous avons débitées dans une scierie voisine abandonnée que nous avons construit des abris enterrés pour le logement des hommes et pour la cuisine. La ferme du Willerhof étant électrifiée nous avons tiré une ligne jusqu'à la batterie. Tous ces travaux nous ont permis d'avoir une batterie toujours en pleine activité ". Sur le croquis de la section donné par la Denkschrift allemande de 1941 apparaissent en effet plusieurs annexes d'appoint dont une baraque (nda).
Emplacements de canons
Les plates-formes de 155, de forme polygonale, mesurent hors tout env. 18 x 11,50 m, rampe d'accès comprise selon le cas. Les plates-formes de 240 ont une forme rectangulaire et s'étendent sur 15 x 8 m. Celles-ci sont reliées au magasin à munitions par une voie ferrée de 0,40 m de transport des munitions.
Abris-PC
Les abris de batterie ont pour dimensions extérieures 15,70 x 7,35 m pour le grand modèle (batteries de 240), 11 x 7,35 m pour le petit modèle (batteries de 155). Ne possédant qu'une seule chambre – avec poste téléphonique – ils ne permettaient que de courts séjours en cas de bombardement.
Magasins à munitions
Les magasins à munitions ont une emprise au sol de 9,40 x 7,90 m. Abris et magasins sont construits en protection 2 (dalle 2 m, murs exposés 2,25 m) #18En fortification Maginot il existait 4 degrés de protection (épaisseur du béton) numérotés de 1 à 4, soit de 1,70 à 3,50 m pour les murs extérieurs exposés et de 1,50 à 3,50 m pour les dalles de toiture.. Sur les positions de 240 les magasins sont reliés aux plates-formes par une voie ferrée de 0,40 m de transport des munitions. Un seul et même modèle existe sur les batteries de 155 et de 240.
Abris-PC des deux batteries
En relation avec ces batteries, dans la partie ouest de l'Eichwald ont été installés deux grands abris-PC type STG, un pour chaque type d'armement. Ils étaient destinés à abriter le commandement des deux batteries de 155 et 240. Tous ces bétonnages, batteries et PC, sont encore parfaitement visibles et accessibles aujourd'hui.
Camp de sûreté du Willerhof
Enfin, à proximité immédiate de la batterie du Willerhof a été construit en 1937-1938 le camp de sûreté du même nom. Il possède une dizaine de bâtiments, dont trois principaux (casernes), des cuisines, une infirmerie, des garages, un atelier, etc. Tous ces bâtiments existent toujours mais sont maintenant privés.
Vues aériennes du camp de Willerhof en 1949 et 1969. Sur la droite la ferme qui a donné son nom aux sites environnants (IGN).
Quelques bâtiments du camp du Willerhof de nos jours (Pascal Lambert, Daniel Froehly, Wikimaginot).
L'armement
Les deux types d'armement utilisés sur ces batteries n'étaient pas de première jeunesse mais, sous certaines conditions, pouvaient encore parfaitement remplir la mission qui leur était assignée, en l'occurrence battre les ponts de Bâle sur le Rhin (à 16 km), les objectifs stratégiques allemands du sud Badois (à 18 km) et divers axes routiers en territoires français et suisse.
- Matériel de 145 mm / 155 mm modèle 1916
Conçu et livré en 1917 par la société Saint-Chamond à partir de tubes de 145 mm réalésés après usure au calibre de 155 mm, la longueur de la partie rayée du tube était alors ramenée de 6,11 m à 5,87 m, celle de la bouche à feu restant de 7,40 m. Masse de la pièce en batterie 12 500 kg. Cadence de tir 8 coups en 5 minutes. Portée maximale 18 000 mètres.
Les objectifs des batteries de 155 L étaient de neutraliser les installations ferroviaires et autres de la rive droite du Rhin (à limite de portée depuis les positions du Willerhof) ainsi que les axes autour de Bâle de la Suisse vers la France (Bâle→Laufon→Delémont→Les Rangiers→Porrentruy→Montbéliard).
Pièce de 155 L Mle 1916 sur son emplacement de guerre près de Wentzwiller en décembre 1939 (DR).
- Matériel de 240 mm modèle 1884
Ancienne pièce de côte réadaptée en 1916, sa masse en batterie s'élevait à 31 tonnes et imposait des contraintes de transport. Peu mobile, c'était néanmoins un canon puissant et précis, apte à effectuer une efficace contre-batterie. Longueur de la bouche à feu 6,70 mètres, celle de la partie rayée 4,97 mètres. La portée de la pièce atteignait 18 000 mètres et sa cadence de tir était d'un coup toutes les deux minutes. Une dizaine de servants étaient nécessaires pour le service de la pièce. Un modèle 1917 sera réalisé avec un tube de 6,84 mètres et les mêmes caractéristiques mais c'était bien le modèle 1884 qui était au Willerhof.
Les objectifs des batteries de 240 étaient de neutraliser les installations ferroviaires de la rive droite et les quatre ponts de Bâle sur le Rhin (à limite de portée depuis les positions du Breitenhag et du Strengwald).
L'une des quatre pièces de 240 Mle 1884 des positions du Willerhof, filets de camouflage enlevés. Leur portée atteignait 18 km (DR).
1939-1940
Au printemps de 1938, à peine les installations bétonnées sont-elles terminées que les artilleurs de la 6e batterie, venant de Belfort, s'y installent avec leurs matériels. Jusqu'au printemps de 1940 ils vont s'employer à améliorer les installations mais n'effectueront aucun tir d'exercice avant la déclaration de guerre le 3 septembre 1939.
Le 6e groupe est commandé par le chef d'escadron Nicolas jusqu'en janvier 1940 puis par le capitaine Bauer. La 10e batterie (Breitenhag et Willerhof) est commandée par le capitaine O'Quin assisté du s/lieutenant Landhauser puis du s/lt Parisot, la 11e batterie (Eichwald et Strengwald) par le capitaine Teschenay #19Orthographié Teychenné selon un état du 1/6/1940. assisté du Lt Texier #20Dans son rapport de 1945, le capitaine Texier note : " ... mon unité du temps de guerre (.......) n'a jamais été engagée dans des opérations actives "..
En novembre 1939 une batterie de 155 et une section de 240 quittent leurs positions du Willerhof et du Breitenhag pour s'installer à Wentzwiller et Hagenthal, plus proches de Bâle et du Rhin, sur des emplacements terrassés avec abris non bétonnés pour le personnel et les munitions. De ces positions une seule salve sera tirée sur un nœud de communications de la rive droite du Rhin. Ces déplacements s'expliquent afin de réduire la portée des canons et donc d'améliorer l'efficacité des tirs. En outre, les positions du Willerhof étaient connues des Allemands et pouvaient être bombardées à tout moment. Le 5 juin 1940 les batteries déplacées se seraient repliées sur leurs anciennes positions
Dans son rapport de 1945, le capitaine O'Quin, commandant la 10e batterie du 6e groupe, note cependant : " Le feu a été ouvert pour la 1ère fois au mois de mars (plus vraisemblablement le 10 mai, nda) (......), ce jour-là toute l'artillerie du secteur, de Mulhouse à la Suisse, a ouvert à minuit une puissante concentration sur la voie ferrée au pied de la forteresse d'Istein. (.......) À partir de ce moment, la batterie tira extrêmement souvent sur des objectifs variés (.....) signalés par l'observatoire de Hésingue (au Hittenberg, nda) où se tenait en permanence un officier, (......) jusqu'à limite de portée, 21 000 m avec obus F.A.T.O. ".
Le Lt Roméas indique de son côté " 10 mai 1940 – Premiers tirs sur les positions allemandes du Rhin ". (.......) nombreux tirs de nuit durant tout le mois ". (.......) 13 juin1940 : Nos deux batteries de 155 L tirent toute la journée pour masquer le départ des autres unités ".
Le capitaine O'Quin relate aussi : " La position fut violemment prise à partie par l'ennemi à plusieurs reprises, spécialement en obus fusants de 105 qui hachèrent des arbres à quelques mètres des pièces, sans occasionner de pertes ni en hommes ni en matériels. "
Le 15 juin 1940 les Allemands franchissent le Rhin entre Neuf-Brisach et Rhinau puis se répandent dans la plaine d'Alsace. À l'ouest, ils atteignent Besançon et Pontarlier le 17 juin, menaçant Belfort. Le même jour, le général Laure, chef de la 8e armée qui risque d'être prise en tenaille, ordonne le repli de toutes les unités dont celles du S.F. d'Altkirch vers Belfort et les Vosges.
Aux alentours de cette même date – dès le 14 juin selon certains témoignages, le 17 selon d'autres – le 6e groupe quitte ses positions non sans avoir saboté les pièces de 240, intransportables faute de moyens, en faisant sauter l'âme des tubes, tandis que les charges sont brûlées. Par contre une partie des 155 de la 10e batterie a pu être emmenée vers Belfort où les Allemands étaient déjà et où les hommes sont fait prisonniers le 18 juin, après une courte résistance au fort de Roppe et aux ouvrages du Rudolph et de l'Etang Neuf. La 11e batterie est capturée sans matériel à l'Isle-sur-le Doubs le 21 juin alors que quelques éléments ont néanmoins pu passer en Suisse.
Les Allemands récupèrent donc sur les lieux quatre 155, la section de 240 du Strengwald, ainsi que les deux 240 du Breitenhag. Ceux-ci seront ferraillés peu après. Ainsi, les positions permanentes du Willerhof n'ont joué aucun rôle actif d'ampleur durant la campagne de 1939-1940, à l'exception des tirs mentionnés. Il n'est toutefois pas interdit de penser que leur seule présence à proximité du territoire suisse et des ponts sur le Rhin a pu avoir une influence sur la stratégie des armées allemandes et donc infléchir indirectement le cours des évènements.
Photos historiques
Demi-batterie du Breitenhag – La plate-forme ouest de 240 en 1939, sous filets de camouflage. Remarquer la voie de 0,40 m, la porte roulante et le magasin à munitions de proximité (Robert Schmidt, DR).
Demi-batterie du Breitenhag – La construction d'une avancée en bois avant les hostilités a permis d'augmenter la surface de l'abri-PC. Au second plan se devine le magasin à munitions (Robert Schmidt, DR).
Demi-batterie du Breitenhag – Photo d'origine allemande avec l'abri-PC au 1er plan, probablement peint en kaki, et au fond le magasin à munitions. On voit bien la voie ferrée de 0,40 m pour le transport des munitions (coll. David Ory).
Demi-batterie du Breitenhag – L'une des deux pièces de 240 de la position, filets de camouflage en partie découverts (coll. Henri Berger, DR).
Demi-batterie du Breitenhag – Autre photo d'origine allemande de l'un des 240 (coll. Emmanuel Kern).
Demi-batterie du Breitenhag – Encore une vue d'origine allemande de l'une des deux pièces de la position (coll. Fr. Wein).
Demi-batterie du Breitenhag – Le ferraillage des canons a déjà commencé sous la coupe des Allemands en 1941 ou 42. On en voit ici la pièce n° 2 et, à l'arrière plan, la baraque sommaire de l'atelier et celle de logement (coll. Fr. Wein).
Batterie du Willerhof – Sur l'un des emplacements pour une pièce de 155 L préparatifs en novembre 1939 pour une sortie de batterie (DR).
Batterie du Willerhof – L'ensemble de la pièce de 155 L en ordre de route hissée hors de son emplacement bétonné en novembre 1939 (DR).
En novembre-décembre 1939 la batterie de 155 L du Willerhof et la section de 240 du Breitenhag sont déplacées à Wentzwiller et environs, les rapprochant un peu plus de leurs objectifs. Sans bétonnages ici, les plates-formes et abris seront établis sommairement en bois et rondins mais parfaitement camouflés (DR).
Photos actuelles
Batterie du Willerhof – L'une des quatre plates-formes de 155 L de cette position dans les années 1990, mais les lieux n'ont guère changé depuis. Sur la droite, le magasin à munitions annexe, fermé par une porte en tôle (G. Grentzinger).
Batterie du Willerhof – Le magasin à munitions de proximité est une simple niche en tôle métro recouverte de béton (Daniel Froehly).
Batterie du Willerhof – Le même type de plate-forme de nos jours (Daniel Froehly).
Batterie du Willerhof – Vue plongeante sur l'un des quatre emplacements de 155 L (Daniel Froehly).
Batterie du Willerhof – À chaque groupe de deux emplacements de 155 L est adjoint un abri-PC petit modèle. On en voit ici l'un des deux exemplaires de cette batterie en 1990 (G. Grentzinger) et de nos jours (Daniel Froehly).
Batterie du Willerhof – L'intérieur de ces abris, aux murs et plafond aujourd'hui très corrodés, ne comporte qu'une seule chambre de 7 x 2 m (petit modèle), 11 x 2 m (grand modèle). On y retrouve des vestiges de banquettes et de tablettes, les traces d'un éclairage, ainsi qu'une entrée des câbles téléphoniques et parfois un puits à eau fermé par une dalle (Daniel Froehly).
Batterie du Breitenhag – Le magasin à munitions de nos jours et son camouflage naturel (Daniel Froehly).
Batterie de l'Eichwald – L'une des quatre plates-formes de 155 L de cette batterie en 1990, probablement l'emplacement n°2. Sur la gauche, le magasin à munitions de proximité en tôle métro (G. Grentzinger).
Batterie de l'Eichwald – L'abri-PC petit modèle de la section sud de 155 L en 1990 (G. Grentzinger) et de nos jours (Daniel Froehly).
Batterie de l'Eichwald – Le magasin à munitions de la batterie en 1990 (G. Grentzinger) et de nos jours (Daniel Froehly).
Batterie du Strengwald – L'emplacement du canon de 240 nord ou n° 2 en 1990. À droite magasin de proximité de munitions et matériel, à gauche niche à munitions (G. Grentzinger).
Batterie du Strengwald – Le même emplacement de nos jours, aménagé en espace festif (Daniel Froehly).
Batterie du Strengwald – Le 2e emplacement (sud ou n° 1) a également subi une transformation pour quelque évènement festif périodique (Julien Boulanger, Wikimaginot).
Batterie du Strengwald – Le magasin à munitions en 1990 (G. Grentzinger).
Batterie du Strengwald – L'abri-PC grand modèle de la batterie de nos jours a conservé ses portes blindées (Julien Boulanger, Daniel Froehly, Wikimaginot).
Sources et Références
F. Arnold – La 8e Armée dans le Sundgau en 1939-40. Ann. Soc. d'Hist. du Sundgau, 1985.
G. Grentzinger et J.B. Wahl – Lorsque la France braquait ses canons sur la Suisse. Les batteries bétonnées du Secteur défensif d'Altkirch. Ann. Soc. d'Hist. du Sundgau, 1993.
St. Ferrard – France 1940. L'armement terrestre. ETAI 1998.
J.Y. Mary, A. Hohnadel – Hommes et ouvrages de la Ligne Maginot. Tome 2, 2001.
Wikimaginot.
Rapports en 1945
- du capitaine O'Quin, en 1940 commandant la 10e batterie du 6e groupe du 159e RAP,
- du capitaine Paul Texier, en 1940 lieutenant et commandant en second de la 11e batterie du VI/159e RAP,
- du capitaine Pierre Durupt, en juin 1940 commandant adjoint du 6e groupe du 159e RAP,
- du lieutenant Jean Roméas, officier des transmissions à l'E.M. VI/159e RAP,
Témoignages en 1992-1993
- du colonel (CR) Paul Texier, en 1940 lieutenant et commandant en second du VI/159e RAP,
- de M. Robert Schmidt, en 1940 lieutenant et commandant de la section de 240 du Breitenhag,
- de M. Louis Vuillecard, en 1940 adjudant-chef à la section de 240 du Breitenhag #21Aux alentours du 17 juin 1940 il s'est chargé avec un volontaire de neutraliser les deux pièces de 240 de sa section.,
- de M. Frédéric Guigue.
Documentation de M. le colonel Michel Buecher.
Journal L'Alsace du 4.6.1992 – La fin du Willerhof. *
* Le 3 juin 1992 s'est tenue à Fislis une cérémonie ayant réuni autour des officiels quelques Anciens de l'amicale du 6e groupe du 159e RAP. À cette occasion le fanion du 6e groupe, pieusement conservé depuis 1940, a été remis au maire de Fislis, M. Robert Mona.
Fin