Ligne Maginot
La tourelle de 75 R 32
une merveille de technicité
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Pendant près d'un siècle (1890-1970) les tourelles d'artillerie sont restées l'armement le plus remarquable de la fortification, et tout spécialement les tourelles à éclipse. Abritées dans un puissant massif de béton armé, constituées de cuirassements (les blindages) d'abord en fonte dure puis en acier spécial au nickel-chrome, armées d'abord de canons de 155 et de 75, plus tard d'obusiers de 135 et de mortiers de 81, les tourelles d'artillerie ont bien rempli leur mission au cours des deux conflits du 20e siècle.
Après la guerre de 1870-1871 et à partir de 1874 la France a construit du nord au sud du pays un gigantesque système de forts et de fortifications connu sous le nom de fortification Séré de Rivières #1Général du génie (1815-1895).. 196 forts, 58 ouvrages secondaires et 278 batteries seront alors édifiés. Les plus connus dans le Nord-Est seront ceux des places de Verdun, Toul, Epinal et Belfort. Malheureusement, à peine achevés en 1885 et construits essentiellement en maçonnerie et en terre, brusquement soumis aux progrès de l'artillerie et des explosifs, ces ouvrages s'avèreront d'un coup totalement périmés et vulnérables. Les remèdes s'appelleront béton et cuirassements.
Si les tourelles cuirassées sont apparues dans la marine vers 1860, il faudra attendre la fin du 19e siècle pour les voir adoptées en nombre dans la fortification terrestre. En 1889 le commandant Galopin invente une tourelle à éclipse de 155 équilibrée par deux contrepoids. Elle est construite en grand nombre à partir de 1892. Vers 1900 apparaît une tourelle à éclipse à deux pièces de 75 qui équipera de nombreux forts Séré de Rivières (et même un ouvrage Maginot en 1936) #2En 1914, 57 tourelles de 75 modèle 1905 et 22 de différents modèles de 155 armaient les forts Séré de Rivières..
Les tourelles tournantes ou à éclipse ayant largement fait leurs preuves durant la Grande Guerre, lors de la conception de la Ligne Maginot dans les années 1920 l'emploi des tourelles à éclipse est apparu comme une suite logique et évidente des réalisations précédentes de ce type d'armement. C'est ainsi que vont être mis en construction au début des années 1930 huit modèles de tourelles, toutes à éclipse, toutes dérivées de la tourelle de 75 modèle 1905 :
- tourelle de 75 modèle 33
- - de 75 R modèle 32
- - de 75 modèle 1905 modifiée
- - de 135 modèle 32
- - de 81 modèle 32
- - de mitrailleuses
- - d'armes mixtes #3Tourelle de 75 modèle 1905 modifiée.
- - d'arme mixte et mortier de 50.
La tourelle de 75 R 32 ou, in extenso, tourelle de deux matériels de 75 raccourcis modèle 1932, objet de la présente évocation, n'est ni la plus grosse, ni la plus lourde, ni la plus puissante des tourelles Maginot #4La tourelle de 75/33 a été conçue simultanément à celle de 75 R 32 et non ultérieurement à celle-ci comme peuvent le laisser croire les années-modèles. Chacun des deux modèles de tourelle a été conçu en fonction de leur emploi. mais son étude n'en reste pas moins des plus intéressantes. Héritière des enseignements de 1914-1918, elle est le reflet fidèle d'une technicité (on dirait technologie aujourd'hui) de l'entre-deux-guerres. 12 exemplaires seront construits et mis en place dans 9 ouvrages #5Voir la liste au bas de cet article. et 18 autres étaient prévus en 2e cycle. En juin 1940, sous un déluge de bombes et d'obus, les tourelles des blocs 3 et 4 de l'ouvrage de Schoenenbourg, tirant plus de 13 000 coups de 75, ont donné bien du souci aux Allemands lors de leur vaine tentative de percer la Ligne Maginot dans le nord de l'Alsace.
Vue d'ensemble des trois étages de la tourelle de 75 R 32 : (1) étage inférieur (balancier et son contrepoids d'équilibrage de la tourelle et mécanisme de mise en batterie et d'éclipse), (2) étage intermédiaire (poste de pointage, systèmes d'approvisionnement en munitions de la chambre de tir), (3) étage supérieur (chambre de tir et ses cuirassements). (Dessin de Fritz Lerch).
Description
Bien qu'il s'agisse d'un engin relativement complexe et (pour l'époque) plutôt sophistiqué, essayons d'en détailler les principales fonctions.
La tourelle proprement dite, c'est-à-dire à l'exclusion des éléments et équipements fixes qui appartiennent au bloc bétonné qui l'entoure, est un engin vertical d'une douzaine de mètres de hauteur, d'un poids de plus de 100 tonnes et comportant trois étages, de bas en haut :
- l'étage inférieur avec le balancier d'éclipse et son contrepoids,
- l'étage intermédiaire avec les appareils de transfert de munitions et de pointage,
- l'étage supérieur, la chambre de tir.
Installée dans un puits ménagé dans le bloc bétonné de logement et de protection, la tourelle est constituée de parties fixes (la charpente fixe, les couronnes de guidage) et d'une partie mobile (le balancier d'équilibre et son contrepoids, le fût de la tourelle avec la plate-forme et les mécanismes de pointage, les norias à munitions, la chambre de tir au sommet).
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Coupe schématique verticale de la tourelle permettant de voir les différents organes de mise en batterie/éclipse, le système d’évacuation des douilles, le système d’équilibrage de l’affût et des canons, ainsi que les cuirassements protégeant la chambre de tir. (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
Détaillons un peu ces trois étages de la tourelle :
l'étage inférieur est celui du système agissant sur le mouvement de mise en batterie/mise en éclipse de la tourelle. On y trouve aussi les appareils de ventilation de la tourelle. Cet étage comporte des parties fixes et des parties mobiles, soit :
- parties fixes
- les 4 colonnes supports de la couronne de guidage inférieur, 4 profilés verticaux en I, c'est-à-dire l'assise de l'ensemble de la tourelle,
- celles-ci supportent la couronne de guidage inférieur de la tourelle, placée sous le plancher de l'étage intermédiaire. C'est une pièce en acier moulé munie d'un guidage en bronze et de frotteurs pour le passage du courant électrique. Cette pièce guide le fût-pivot de la tourelle au cours de ses mouvements.
- à l'avant de cet ensemble deux gaines métalliques sont destinées au logement en temps de paix de deux lunettes de visée pour tir à vue directe,
- le ventilateur aspirant (voir plus loin).
- partie mobiles
- essentiellement le balancier d'équilibre, articulé à une extrémité au corps de la tourelle, à un contrepoids en fonte de 20 tonnes à l'autre extrémité. Ce contrepoids comporte une partie évidée destinée à recevoir un lest variable d'équilibrage à l'aide de pièces de fonte, d'acier ou de plomb. L'équilibrage est réalisé en supposant les servants à leur poste dans la chambre de tir et au poste de pointage (soit 6 servants au total) et l'une des norias complètement approvisionnée (13 projectiles). Le contrepoids se déplace dans une fosse dont le fond est muni de deux butées élastiques qui doivent amortir un choc en cas de non fonctionnement du dispositif de freinage.
- l'articulation entre le balancier d'équilibre et le corps de la tourelle est réalisée par un ensemble complexe de tourillons, balancier compensatoire, bielles à rotules, sellette, qui permettent les mouvements de rotation et de translation verticale de la tourelle.
- le fût-pivot de la tourelle repose de tout son poids sur la sellette par l'intermédiaire d'un double chemin de roulement de 12 galets coniques en acier forgé dur qui permettent la rotation.
- il existe en outre un système de verrous de batterie qui assurent l'assise de la tourelle lorsqu'elle est en batterie. Les quatre verrous de batterie sont reliés à un système de tringlerie commandé par un levier d'éclipse placé dans la chambre de tir.
- le mécanisme de mise en batterie et d'éclipse est actionné par un moteur électrique placé sur le balancier d'équilibre ou, dans le cas de panne de courant, par deux manivelles de marche à bras placées de part et d'autre du balancier. Celui-ci possède aussi un système d'embrayage, un ensemble d'engrenages roulant sur une crémaillère d'éclipse, et le manipulateur électrique qui permet la mise en marche du moteur. Sa manette peut occuper 3 positions : repos, batterie, éclipse. Des systèmes de sécurité empêchent toute manœuvre intempestive.
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Vue plongeante, à l'étage inférieur, sur le balancier d’équilibre qui assure les mouvements de batterie et d’éclipse de la tourelle. Celle-ci est ici en position de batterie. Les parties visibles en haut et à droite de l’image appartiennent à l’étage intermédiaire. (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
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Agrandissement du système d’articulation entre le balancier d’équilibre et le corps de la tourelle permettant les mouvements éclipse/batterie et la rotation de la tourelle. (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
L'étage intermédiaire est celui du poste de pointage de la tourelle et donc des canons, ainsi que de l'approvisionnement en munitions de la chambre de tir. Il possède un grand nombre d'équipements, soit de bas en haut :
- le dispositif de marche à bras de rotation de la tourelle en cas de panne électrique,
- les postes bas des deux norias à munitions et leur dispositif de marche à bras,
- la plate-forme de pointage et ses divers mécanismes de commande et de pointage,
- l'échelle d'accès à la chambre de tir,
- le moteur de rotation de la tourelle,
- la couronne circulaire graduée sur laquelle se déplace l'appareil indicateur de pointage en direction,
- la couronne circulaire crantée reliée par arbre et pignons au moteur de rotation,
- la couronne de guidage supérieur,
- les deux moteurs des norias,
- les installations électriques de commande et de contrôle,
- et bien entendu le corps de la tourelle sur lequel sont fixés ces équipements.
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Vue d’ensemble de l’étage intermédiaire de la tourelle qui est ici en position éclipsée. (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
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Vue partielle de l’étage intermédiaire permettant de voir la disposition du côté gauche de la tourelle (le poste de pointage étant vu de face) et, entre autres, l'engrenage du système de rotation de la tourelle et le moteur de la noria à munitions de gauche. La tourelle est ici en position éclipsée. (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
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Vue d’ensemble du côté droit de la tourelle (par rapport au poste de pointage vu de face) en position éclipsée. On aperçoit dans le haut, en jaune, la circulaire graduée d’indication de pointage, puis la circulaire dentée de rotation de la tourelle. (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
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Vue d’ensemble de l’étage intermédiaire et de l’arrière de la tourelle (le poste de pointage étant vu de face). On y voit surtout les deux norias à munitions et les gaines d’évacuation des douilles depuis la chambre de tir et celle de la ventilation aspirante de cette même chambre de tir. On peut remarquer entre autres, au centre, les deux rouleaux à gorge (en gris foncé) qui permettent à la partie supérieure des gaines de coulisser dans la partie inférieure. Ce dispositif permet aux entonnoirs à douilles dans la chambre de tir, grâce à un système de poulies et de contrepoids, de rester constamment à la hauteur des culasses, quelle que soit la position des canons. (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
Sous cet angle de vue de trois quart arrière de l'étage intermédiaire on peut voir (ou revoir), de bas en haut, (1) les deux norias à munitions, (2) la manivelle de marche à bras de la noria du canon de droite, (3) l'échelle d'accès au poste de pointage et à la chambre de tir, (4) la gaine d'évacuation des douilles du canon de gauche, (5) la gaine de la ventilation aspirante, (6) la plate-forme du poste de pointage, (7) l'engrenage de rotation de la tourelle, (8) la circulaire graduée d'indication de pointage, (9) le moteur de la noria du canon de droite, (10) la circulaire dentée de rotation de la tourelle. (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
Le corps de la tourelle, ou fût-pivot, est un cylindre vertical en tôle d'acier épaisse renforcée qui va du plancher de l'étage intermédiaire à celui de la chambre de tir. Ses mouvements sont facilités par un guidage inférieur et un guidage supérieur. À l'intérieur de ce fût-pivot se déplace le contrepoids de l'affût et des canons. Un trou d'homme ménagé dans la paroi en permet la visite.
L'installation majeure de cet étage est évidemment le poste de pointage. C'est une plate-forme fixée à mi-hauteur sur le corps de la tourelle et qui comporte un grand nombre d'équipements et d'appareils :
- les deux sièges des pointeurs,
- le manipulateur électrique,
- les deux volants de pointage en hauteur et en direction,
- le volant des sites,
- l'indicateur de pointage en hauteur,
- le levier de sécurité de tir,
- les leviers d'embrayage de marche à bras ou au moteur de rotation,
- la lunette de visée L 655 pour tirs à vue directe,
- le porte-voix permettant une communication acoustique entre les différents étages,
- le bras articulé relié à l'indicateur de pointage en direction et à la circulaire graduée.
Détaillons un peu quelques-uns de ces appareils :
Le manipulateur, contenu dans un coffret fixé au plancher du poste de pointage, contient un rhéostat ajustant le courant de la génératrice du convertisseur alimentant le moteur de pointage en direction. La manœuvre de la manette du manipulateur permet d'obtenir dans chacun des sens de rotation de la tourelle 15 vitesses différentes. La vitesse la plus rapide correspond à un tour complet de la tourelle en 30 secondes environ.
Le volant de droite assure le pointage lent en direction. Il est conjugué avec un appareil indicateur de pointage en direction constitué :
- d'une circulaire graduée en maillechort #6Alliage de cuivre, nickel et zinc. divisée en grades, le 0 correspondant au Nord Lambert de guerre,
- d'un bras télescopique en forme de triangle rectangle, équilibré par une poulie et un contrepoids,
- d'un curseur en bronze à l'extrémité du bras télescopique, coulissant sur la circulaire graduée et indiquant la position de la tourelle.
Le volant de gauche assure le pointage en hauteur. Il est relié à l'affût dans la chambre de tir par un système d'arbres et de pignons réglant par l'intermédiaire d'une poulie d'équilibre l'inclinaison des canons. L'indication de pointage est donnée par un appareil indicateur de pointage en hauteur assez sophistiqué constitué :
- d'une bielle reliée par des articulations à l'affût dans la chambre de tir,
- d'un bâti support fixé au fût-pivot de la tourelle,
- d'un repère fixe de pointage en hauteur,
- d'un arc fixe à glissières en maillechort sur lequel coulisse un arc denté gradué en décigrades,
- d'un arc des sites, également en maillechort, comportant un petit volant pour un réglage fin.
Le fonctionnement détaillé de tout cet ensemble est assez complexe et fastidieux à exposer ici, aussi en ferons-nous grâce au lecteur. Pour résumer, le pointage en hauteur est effectué soit par lectures sur le jeu d'arc gradués, soit à l'aide d'une lunette deux fois coudée à angle droit et dont l'extrémité supérieure est fixée entre les deux canons.
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Vue rapprochée du poste de pointage et de ses différents équipements et appareils (pour ne pas surcharger à l’excès, certains éléments tels que le bras indicateur de pointage en direction, le levier d’embrayage au moteur, le transmetteur d'ordres à câble, etc. n’apparaissent pas sur cette représentation). (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
Gros plan sur une partie des équipements du poste de pointage de la tourelle du Schiesseck, soit de gauche à droite et de bas en haut : (1) le transmetteur d'ordres à câble entre cet étage et l'étage inférieur, (2) les deux volants de pointage, (3) le petit volant des sites, (4) l'indicateur de fauchage en hauteur (en alliage jaune), (5) le levier de sécurité de tir, (6) l'arc indicateur de pointage en hauteur, (7) le levier d'embrayage de la marche à bras de rotation. A l'arrière plan, (8) on voit aussi le bras articulé relié à la circulaire d'indication de pointage en direction (9). Enfin, dans le haut se remarquent (10) le porte-voix de communication acoustique et (11) la poignée d'ouverture du créneau de la lunette de visée.
L'étage supérieur est celui de la chambre de tir. On y trouve :
- les deux canons de 75 jumelés et leur affût, l'ensemble canons et berceaux constituant la "masse oscillante double",
- cet affût qui comprend une colonne centrale et les deux berceaux entretoisés supportant les bouches à feu,
- le système d'équilibrage de cette masse constitué par une chaîne Galle passant par une poulie de renvoi et attelée à son autre extrémité à un contrepoids en fonte; celui-ci se déplace à l'intérieur du fût-pivot de la tourelle,
- l'extrémité haute – l'objectif – de la lunette de visée, entre les deux canons,
- le levier d'éclipse, sur le côté gauche de l'affût,
- les postes hauts des deux norias à munitions,
- les entonnoirs à douilles,
- la gaine de la ventilation aspirante terminées par un conduit évasé,
- dans le plancher, la trappe d'accès à la chambre de tir #7La chambre de tir et l'étage intermédiaire disposent de planchers en bois amovibles. Ceux-ci permettent les démontages et remplacements d'un étage à l'autre de certaines pièces volumineuses et lourdes telles que canons, moteurs, ....
La chambre de tir est la seule partie de la tourelle qui, en position de batterie, émerge partiellement à l'extérieur. Elle s'élève de 45 cm en position de batterie (ainsi que tout l'ensemble des deux autres étages du fût-pivot et des équipements qui y sont fixés) ce qui permet de masquer ou démasquer les embrasures. La chambre de tir qui a un diamètre intérieur de 2,25 m est fermée par la muraille (épaisseur 30 cm d'acier spécial au nickel-chrome, hauteur 65 cm, poids 13 tonnes avec doublages) et la toiture (épaisseur 30 cm, diamètre 3 m, poids 15,6 tonnes). En position éclipsée, elle est protégée par une avant-cuirasse en acier moulé scellée dans le béton et constituée de 5 voussoirs identiques (poids total 86,5 tonnes) #8L'espace sous l'avant-cuirasse est accessible depuis l'étage intermédiaire par une poterne et un puits avec échelle amovible afin d'en permettre le nettoyage. Cet espace est également pourvu d'une rigole et d'un conduit d'évacuation des eaux de pluie vers l'intérieur du bloc..
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Vue horizontale de dessus de la chambre de tir avec ses équipements. Le diamètre intérieur est ici de 2,25 mètres et le diamètre extérieur de la muraille de 3 mètres. (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
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Vue plongeante en 3D de la chambre de tir dépourvue de ses cuirassements. La tourelle est ici en position de batterie. (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
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Vue du côté gauche de la chambre de tir. Cet angle permet de voir (au 1er plan) le levier d'éclipse dont la manoeuvre est conjuguée avec celle du levier de sécurité de tir placé au poste de pointage et donc aussi avec les culasses. On ne peut éclipser la tourelle que lorsque les culasses sont ouvertes. (Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
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Cette vue en 3D des trois étages de la tourelle permet d'apprécier en particulier l'importance des cuirassements qui coiffent le haut de la tourelle et la chambre de tir. La tourelle est en position de batterie. (Dessin de Fritz Lerch).
L'armement
Il s'agit du canon de 75 modèle 1897 dont le tube de 2,721 mètres a été réduit à 1,555 mètre dont 1,063 m pour la partie rayée, d'où le "R" pour "raccourci" dans sa désignation #9Le même tube équipait les tourelles de 75/1905 et les 75/32 de casemate.. Celle-ci était d'ailleurs pour cette raison de "canon-obusier". La culasse à vis excentrée est du type Nordenfeldt. Avec la munition o.e. 1917 #10o.e. : obus explosif. la portée était de 9400 mètres, et de 5300 à 7400 mètres selon la charge avec la munition o.e. 1915. La cadence de tir est de 13 à 20 coups/minute par pièce, pouvant être élevée exceptionnellement à 30 c/m, soit 40 à 60 c/m pour la tourelle.
Les systèmes de sécurité
Des dispositifs de sécurité spéciaux empêchent les culasses d'être fermées et par suite les pièces de pouvoir tirer quand les conditions suivantes ne sont pas simultanément remplies :
- lorsque la tourelle est en position de batterie,
- lorsque le pointeur a permis la fermeture des culasses après avoir amenées les pièces à la position de tir.
En outre, la tourelle ne peut être éclipsée que si les deux culasses sont toutes deux à leur position d'ouverture complète.
Il existe donc un dispositif de sécurité de tir permettant au pointeur d'interdire mécaniquement la mise de feu la tourelle étant en batterie, et un dispositif de sécurité d'éclipse destiné à interdire l'éclipse de la tourelle lorsque les culasses sont fermées, et inversement, à interdire la fermeture des culasses lorsque la tourelle est éclipsée.
Ces deux systèmes sont commandés par un même levier dit levier de sécurité placé au poste de pointage. Il comporte trois indications : "TIR" – "ARRET" – "ECLIPSE". Par l'intermédiaire d'une tringlerie sophistiquée ce levier est relié au levier d'éclipse et aux culasses dans la chambre de tir. Réciproquement, la manœuvre du levier d'éclipse est conjuguée avec celle du levier de sécurité de tir afin qu'on ne puisse éclipser la tourelle que lorsque le levier de sécurité est à la position éclipse, c'est-à-dire les culasses étant ouvertes.
La ventilation
En plus de la ventilation générale du bloc il a été prévu un système séparé de ventilation de la tourelle et en particulier de la chambre de tir où se produisent les gaz de tir. Il y a donc deux systèmes de ventilation :
- une ventilation soufflante dans l'ensemble du bloc,
- une ventilation aspirante sur la tourelle.
La ventilation soufflante est celle de l'ensemble du bloc bétonné qui entoure la tourelle. Elle a pour but de créer dans tous les locaux du bloc et en particulier dans la chambre de tir une surpression qui empêche la pénétration de l'air extérieur, assurant ainsi une protection contre les gaz de combat. Cette surpression s'oppose aussi aux reflux des fumées restées dans l'âme des canons quand on ouvre les culasses (protection contre l'oxyde de carbone).
Les ventilateurs soufflants permettent de refouler dans la tourelle par une bouche placée à l'étage intermédiaire ou à l'étage inférieur :
- soit de l'air puisé dans les galeries souterraines (régime air pur ou régime normal),
- soit de l'air puisé à l'extérieur du bloc (régime air gazé ou régime gazé) puis filtré.
Ces ventilateurs soufflants sont indépendants de la tourelle et leur fonctionnement n'est pas du ressort du peloton de tourelle.
La ventilation aspirante est destinée à évacuer les gaz provenant du tir des pièces. Ces gaz se répandent dans la chambre de tir ou restent dans le fond des douilles éjectées et évacuées. Cette ventilation est obtenue au moyen du ventilateur aspirant placé à l'étage inférieur et dont la manœuvre est assurée par le peloton de tourelle.
Il n'est mis en marche que lorsque la ventilation soufflante fonctionne (pour ne pas provoquer l'entrée de gaz et fumées). Il est actionné par un moteur électrique mais peut être mu au moyen d'une manivelle de marche à bras en cas de panne de courant.
Les gaz de la chambre de tir sont aspirés par un conduit métallique évasé au voisinage des culasses. Ce conduit, d'abord rectangulaire, se prolonge par un conduit cylindrique, traverse la plate-forme et aboutit aux conduits fixes d'évacuation des douilles. Au niveau de l'étage inférieur, la buse d'aspiration du ventilateur aspire l'air vicié depuis la goulotte d'évacuation des douilles. De ce fait le ventilateur aspire non seulement les gaz de la chambre de tir mais aussi les gaz contenus dans le dispositif d'évacuation des douilles.
L'air vicié est refoulé par deux conduits, l'un aboutissant sous l'avant-cuirasse, l'autre à la conduite générale d'évacuation d'air vicié du bloc.
Installé à l'étage inférieur, un ventilateur aspirant avec ses gaines de refoulement, l'une vers l'évacuation générale du bloc, l'autre vers l'espace sous l'avant-cuirasse et l'extérieur (Billig, bloc 4).
Le ventilateur aspirant du bloc 3 du fort de Schoenenbourg. Au 1er plan, un tube de rechange de 75 R 32.
Les installations électriques #11 Selon les directives de 1936, des modifications ayant pu intervenir lors de la réactivation des ouvrages après guerre.
L'énergie électrique nécessaire pour le fonctionnement de la tourelle est fournie en courant continu de 110 volts par un groupe convertisseur de bloc ou de sous-station. L'énergie électrique nécessaire pour l'éclairage de la tourelle est fournie en courant alternatif de 110/220 volts par l'usine de l'ouvrage. Le circuit d'éclairage de la tourelle fait partie du circuit général d'éclairage du bloc.
Les installations électriques de la tourelle comportent donc deux réseaux nettement distincts, l'un au courant force, l'autre au courant lumière. Résumons ce chapitre un peu touffu :
Le réseau force qui assure le fonctionnement des mécanismes de la tourelle comprend :
?le tableau général "Force" placé à l'entrée de l'étage inférieur de la tourelle, comprend les interrupteurs, fusibles, ampèremètre et voltmètre correspondant aux circuits de la partie mobile, du mouvement d'éclipse et du ventilateur.
?le tableau de la partie mobile, fixé sur le fût-pivot à l'étage intermédiaire de la tourelle, commande les circuits du moteur de pointage en direction et ceux des moteurs des deux norias.
?la boîte des frotteurs horizontaux est placée sous le plancher de l'étage intermédiaire, à l'intérieur de la couronne de guidage inférieur. Ces frotteurs assurent la liaison électrique entre les deux tableaux ci-dessus pendant les mouvements de rotation de la tourelle.
?les canalisations électriques, réalisées en câble armé, sont peintes selon ces couleurs conventionnelles : vert = circuit du mouvement d'éclipse, rouge = circuit du pointage en direction, bleu = circuit des norias, jaune = circuit du ventilateur aspirant.
?les moteurs et leur appareillage de mise en marche et de protection, le convertisseur, le manipulateur, les interrupteurs de sécurité ainsi que le ventilateur aspirant.
Le réseau lumière assure l'éclairage des locaux de la tourelle et comprend :
? l'interrupteur général "Lumière" placé à l'étage inférieur de la tourelle, à proximité du tableau "Force",
? les canalisations électriques en câble armé, peintes en blanc (pour les distinguer des canalisations "force"),
? un total de 7 lampes électriques réparties comme suit :
Etage inférieur
? 1 à l'entrée, sous le plancher de l'étage intermédiaire,
? 1 au-dessus du balancier d'équilibre.
Etage intermédiaire
? 2 fixées aux piédroits,
? 1 au poste de pointage,
? 1 fixée au fût-pivot entre les deux norias,
Chambre de tir
? 1 à l'arrière de la chambre, entre les deux pièces.
Il existe aussi une baladeuse, placée dans une des armoires à outillage, et son câble souple, utilisée pour les démontages, recherches de panne ou manœuvres de force. Elle se branche sur deux prises de courant des circuits "lumière", l'une à l'étage inférieur, l'autre dans la chambre de tir.
Enfin, l'éclairage de secours est assuré par des lanternes à bougies, au nombre de 12, d'au moins deux modèles différents #12Le type carré, fabriqué par Epervier-Gillet et Cie à Paris, généralement fixé sur les murs, et le type à réflecteur rond, plutôt destiné aux tourelles qu'elles soient de 75, 81, 135 ou de mitrailleuses. :
Etage inférieur
° 4 sur les piédroits,
° 1 au fond de la niche de l'aspirateur aspirant,
° 1 au-dessus de la fosse du contrepoids.
Etage intermédiaire
° 4 sur les piédroits,
° 1 au poste de pointage.
Chambre de tir
° 1 à l'arrière, entre les deux pièces.
Lampe de secours à bougie et à réflecteur rond fixée sur le corps des tourelles à l'étage intermédiaire. Ce modèle de lampe se retrouvait sur tous les types de tourelles, quelles soient de 135, 75-32, 75-33, 81 ou mitrailleuses.
Lampe de secours carrée à bougie qui existait fixée aux murs des étages inférieurs et intermédiaires des tourelles d'artillerie.
Transmissions
Le principe du processus allant de l'observation au tir, soit :
observation depuis un observatoire d'ouvrage ou isolé voire éloigné ? PC artillerie de l'ouvrage ? PC du bloc d'artillerie ? tourelle, et inversement
est bien connu. Dans les faits, un observatoire proche ou éloigné peut être mis en relation directement avec le bloc d'artillerie qui doit tirer, sans passer par les PC d'ouvrage et de bloc.
Entre le PC du bloc d'artillerie et la tourelle la transmission des ordres de tir s'opère soit par téléphone soit plutôt par transmetteurs d'ordres électriques Doignon ou Carpentier #13Après guerre, ceux-ci ont été en partie remplacés par un modèle St-Chamond-Granat.. L'un de ces appareils, à la fois émetteur et récepteur, se trouve donc dans le PC du bloc, l'autre au niveau de l'étage intermédiaire de la tourelle. Là, le chef de pièces lit les ordres de tir indiqués par une aiguille se déplaçant sur un cadran circulaire et un volant lui permet de les confirmer au PC.
Entre l'étage intermédiaire et la chambre de tir il existe aussi un petit transmetteur d'ordres rond à câble, à la fois émetteur et récepteur, du système Téléflex. Le poste bas est placé au poste de pointage, le poste haut dans la chambre de tir, à gauche des pièces. Deux autres transmetteurs de ce type relient l'étage intermédiaire à l'étage inférieur.
Sur cette photo de 1939 prise au PC du bloc 6 de l'ouvrage du Hochwald on voit bien sur la droite un transmetteur d'ordres du type Doignon, le premier des trois modèles qui ont existé dans la Ligne Maginot dont un après guerre. On peut remarquer aussi, sur le haut de la photo, des sachets de deshydratant silicagel et trois lampes de secours à bougie de section triangulaire.
Un transmetteur d'ordres Doignon dans la chambre de tir d'un canon de 75 Mle 29 (Hochwald, bloc 6 ou 12).
Le transmetteur d'ordres le plus répandu était le modèle Carpentier vu ici au bloc 4 de l'ouvrage de St-Roch (Alpes Maritimes). Cet ouvrage est régulièrement ouvert au public.
Prise dans un PC de bloc d'artillerie, photo de 1940 d'un transmetteur Carpentier associé à un boîtier téléphonique de forteresse TM32 (en revanche on peut s'interroger sur la présence insolite au 1er plan d'un mortier de 50 mm... ).
Dans le PC d'un bloc d'artillerie de l'ouvrage de Castillon (Alpes Maritimes), groupe de deux transmetteurs Carpentier et leurs coffrets d'appareillage et d'alimentation. Chaque transmetteur est relié à une chambre de tir (état dans les années 1980).
Le PC du bloc 14 de l'ouvrage du Hochwald possédait également en 1939-40 un transmetteur Carpentier relié à sa tourelle de lance-bombes de 135.
Ensemble de deux groupes de transmetteurs Carpentier et leurs boîtiers d'alimentation au PC du bloc 6 de l'ouvrage de Castillon. Entre les deux groupes, deux prises téléphone (état dans les années 1980).
Bel ensemble de transmetteurs Carpentier au PC du bloc 2 de l'ouvrage de Ste-Agnès, proche de Menton (état actuel). Ce fort est régulièrement ouvert au public.
Transmetteur d'ordres du modèle St-Chamond-Granat d'après-guerre installé au niveau de l'étage intermédiaire d'une tourelle de 135 au bloc 11 de l'ouvrage de Métrich (Moselle). L'appareil est associé à un transmetteur d'ordres Téléflex à câble ainsi qu'à un porte-voix acoustique entre cet étage et l'étage inférieur (photo de 1979).
Transmetteur St-Chamond-Granat et son coffret d'appareillage et d'alimentation ouvert (Métrich, PC du bloc 11, photo de 1979). Les spécialistes reconnaîtront, de haut en bas, redresseur, commutateur à 3 positions (sur la droite), ampèremètre et voltmètre, transformateur 115/28 V, fusibles. Ce coffret est en outre relié à une batterie d'accumulateurs en cas de panne de courant.
Autre transmetteur St-Chamond-Granat associé à un petit transmetteur Téléflex (Billig, bloc 4, années 1980).
Séparés ici de leurs coffrets d'alimentation, groupe de deux transmetteurs St-Chamond-Granat dans un PC de bloc de l'ouvrage du Lavoir (ex-Secteur fortifié de Savoie, état en 1982).
L'équipage
Il faut au total 25 hommes pour la mise en œuvre d'une tourelle de 75 R 32, soit :
- étage inférieur, 3 hommes:
- 1 chef d'équipe
- 1 conducteur
- 1 maître-ouvrier.
- étage intermédiaire, 17 hommes:
- 1 sous-officier chef des pièces
- 1 brigadier artificier
- 1 pointeur (brigadier)
- 1 aide-pointeur
- 4 auxiliaires
- 5 pourvoyeurs
- 2 déboucheurs
- 2 approvisionneurs.
- étage supérieur (la chambre de tir), 4 hommes :
- 2 chargeurs
- 2 tireurs
et un sous-officier, chef de tourelle. Soit 1 adjudant ou adjudant-chef, chef de tourelle, 4 sous-officiers ou brigadiers, 20 servants.
En outre, au pied du bloc, se tiennent également environ 25 hommes affectés au stockage et au transport des munitions, aux manœuvres du monte-charge et à l'approvisionnement de la tourelle par ce moyen. Enfin, au bas du bloc se tient aussi le PC du bloc #14Le personnel du PC comprend : l'officier commandant le bloc, les calculateurs secrétaires, transmetteurs, téléphonistes, infirmiers et électro-mécaniciens..
Revoyons un peu dans le détail la fonction de chacun.
- étage inférieur, 3 hommes:
- le chef d'équipe surveille et dirige le service d'équipe de cet étage.
- le conducteur est chargé du bon fonctionnement de l'appareillage électrique et des opérations simples de manœuvre des organes électriques de la tourelle. En cas de difficulté il fait intervenir un sapeur électro-mécanicien #15Deux sapeurs électro-mécaniciens sont prévus pour chaque bloc. ils sont chargés du tableau divisionnaire situé au pied du bloc, des ventilateurs du bloc et éventuellement des réparations à effectuer aux moteurs de la tourelle et aux autres appareils du bloc..
- le maître-ouvrier en fer assure les menues réparations de la tourelle. Le cas échéant, avec le brigadier chef d'équipe ils actionnent les manivelles de mise en batterie de la tourelle.
- étage intermédiaire, 17 hommes:
- le sous-officier chef de pièces surveille la manœuvre de l'étage intermédiaire et assure la transmission des ordres aux autres étages de la tourelle.
- le sous-officier ou brigadier artificier dirige le ravitaillement en munitions de la tourelle et indique aux auxiliaires les cartouches et les fusées à utiliser.
- le brigadier pointeur pointe les pièces, déclenche la mise en batterie et l'éclipse, manœuvre le verrouillage des culasses. Il peut aussi s'occuper de la hausse et de la dérive de la lunette en cas de tir à vue directe.
- l'aide-pointeur aide et remplace, le cas échéant, le pointeur dans ses fonctions, fauche en hauteur et repère. Eventuellement il actionne une des manivelles de pointage à bras.
- des 4 auxiliaires, deux 1ers auxiliaires manipulent les châssis à munitions, aident à l'amorçage et peuvent assurer la manœuvre à bras des élévateurs de munitions. Deux 2es auxiliaires sont chargés de l'amorçage des obus.
- les 5 pourvoyeurs (1er et 2e pourvoyeurs de droite, 1er et 2e pourvoyeurs de gauche, 3e pourvoyeur) ravitaillent les élévateurs en munitions. Dans le cas de tir fusant, les 1ers pourvoyeurs approvisionnent les débouchoirs en cartouches. Eventuellement les 2es pourvoyeurs assurent la manœuvre à bras du ventilateur (à l'étage inférieur). Le 3e pourvoyeur actionne une des manivelles de pointage à bras.
- les 2 déboucheurs (de droite, de gauche) débouchent les fusées en cas de tir fusant et passent les cartouches aux pourvoyeurs. En cas de tir percutant ils aident au ravitaillement des élévateurs de munitions.
- les 2 approvisionneurs mettent en marche les élévateurs de munitions et les approvisionnent.
- étage supérieur (la chambre de tir), 4 hommes :
- les 2 chargeurs introduisent les cartouches dans la chambre,
- les 2 tireurs #16 Compte tenu de l'exiguïté de la chambre de tir, chargeurs et tireurs doivent être choisis de petite taille !ouvrent et ferment les culasses et mettent le feu.
Le bloc bétonné entourant
La tourelle est à la fois logée et protégée par la masse bétonnée du bloc d'artillerie environnant. C'est une construction très solide dont la protection (l'épaisseur) des piédroits (les murs) extérieurs n'est jamais inférieure à 3,50 mètres, voire nettement plus encore en certains points. Les moins volumineux de ces blocs ont une emprise de 25 x 18 mètres et un volume de 3270 m3 de béton armé spécial #17Exemple : le bloc 3 du fort de Schoenenbourg. Le bloc 4 de ce même ouvrage qui possède en outre une cloche observatoire accuse 3540 m3 de béton.. Chaque bloc type possède, on l'a vu, deux étages au niveau de la tourelle et diverses installations 20 à 30 mètres plus bas, au niveau des galeries souterraines de l'ouvrage. Ces différents niveaux sont reliés par escalier et monte-charge de 2,5 t.
On trouvera donc de haut en bas :
- à l'étage supérieur : deux niches à munitions, une chambre de repos pour 4 hommes, le puits d'accès à une cloche de guet et FM (parfois un 2e puits d'accès à une cloche observatoire), la cage d'escalier et du monte-charge, des latrines et lavabo.
- à l'étage inférieur : une chambre de repos pour 8 hommes, un local technique (réservoirs d'eau et filtres à air), la chambre du chef de tourelle, la cage d'escalier et du monte-charge.
- au niveau des galeries : trois magasins à munitions, un local pour les fusées, deux niches pour les châssis à munitions vides, le réceptacle des douilles vides, le PC du bloc, deux chambres d'officiers, un local technique, la cage d'escalier et le monte-charge vers les étages tourelle.
Cette planche s'agrandit au clic
Vue d'ensemble et organisation d'un bloc d'artillerie avec tourelle de 75 R 32 (fort de Schoenenbourg, bloc 3).
(Dessin de Fritz Lerch, documentation de l'auteur).
Fonctionnement
Le fonctionnement en action de cet ensemble complexe – un vaste chapitre à lui seul – fera le thème d'un volet séparé et sera traité ultérieurement.
Les 12 tourelles de 75 R 32 de la Ligne Maginot
D'est en ouest :
- Schoenenbourg : 2 (bloc 3, tourelle n° 412, et bloc 4, tourelle n° 411),
- Four à Chaux : 1 (bloc 2, tourelle n° 408),
- Schiesseck : 1 (bloc 7, tourelle n° 404),
- Mont des Welches 2 (bloc 2, tourelle n° 402, et bloc 4, tourelle n° 407),
- Billig : 1 (bloc 4, tourelle n° 403),
- Kobenbusch : 1 (bloc 5, tourelle n° 410),
- Soetrich : 2 (bloc 5, tourelle n° 409, et bloc 6, tourelle n° 406),
- Molvange : 1 (bloc 5, tourelle n° 405),
- Rochonvillers : 1 (bloc 3, tourelle n° 401) #18Seules aujourd'hui les tourelles des ouvrages du Four à Chaux et de Schoenenbourg, ouverts aux visiteurs, demeurent à peu près complètes et en bon état statique, mais pas en état de fonctionner. Toutes les autres ont été "dépecées" soit par prélèvements autorisés ou non, soit par vandalisme. En outre elles sont toutes fortement attaquées par la corrosion et en triste état..
Les photos
Vue d'ensemble de l'étage intermédiaire d'une tourelle de 75R32 restaurée (Schoenenbourg, bloc 3). Sous cet angle on en voit le poste de pointage à droite, l'une des deux norias à munitions à gauche, l'échelle d'accès au poste de pointage et à la chambre de tir au centre. On remarque aussi, au bas du fût-pivot, les manivelles de marche à bras de rotation et de la noria de gauche.
Vus de bas en haut, l'échelle et la trappe d'accès à la chambre de tir. Sur la droite, l'arbre de transmission et l'engrenage de rotation de la tourelle.
La tourelle du bloc 3 du fort de Schoenenbourg en position de batterie. Au second plan, les blocs 1 et 2 de l'ouvrage.
Le bloc 3 du fort de Schoenenbourg en juin 1940 après les bombardements allemands. Tourelle et cloche de guet émergent intacts au milieu d'un terrain bouleversé.
Quelques hommes de l'équipage du bloc 3 posent sur la tourelle de 75 en juin 1940.
L'une des deux tourelles de 75R32 de l'ouvrage de Soetrich, au nord de Thionville, dans les années 1980, toutes deux toujours bien équipées mais déjà fortement attaquées par l'oxydation dans un milieu saturé d'humidité.
Encore relativement bien conservée, la tourelle de 75R32 du bloc 4 de l'ouvrage du Mont des Welches (Moselle) dans les années 1980. À droite, un transmetteur d'ordres St-Chamond-Granat d'après-guerre. Au fond, le magasin à munitions M3 est occupé par des filtres à air de rechange.
En 1939, photo d'époque d'un groupe d'officiers britanniques et français examinant la tourelle du bloc 4 de l'ouvrage du Mont des Welches, dans ce qui était alors le Secteur fortifié de Boulay (Moselle), au nord-est de Metz.
La même tourelle dans les années 1980, encore assez complète et relativement en bon état après plus de 15 ans d'abandon. Faut-il rappeler que, durant la Guerre froide alors que la Ligne Maginot était réactivée, ces tourelles ont été renvoyées en usine, intégralement reconditionnées puis remontées dans les ouvrages. En 1955 elles étaient de nouveau opérationnelles.
Encore en assez bon état, la tourelle du bloc 2 de l'ouvrage du Four à Chaux avant son ouverture au public dans les années 1990. On en voit ici le haut de l'étage intermédiaire.
La tourelle du bloc 7 de l'ouvrage du Schiesseck, proche de Bitche (Moselle), était encore relativement complète et en bon état dans les années 1980-1990.
Photo "historique" de 1940 d'une tourelle de 75R32 avec quelques-uns de ses servants. À remarquer sur les murs, les lampes de secours à bougie.
Une niche à l'étage inférieur de chaque tourelle est occupée par les armoires à outillage et pièces de rechange. Celle-ci semble avoir déjà subi quelques prélèvements... (photo d'avant 1979).
Fin