Incroyable fortification helvétique
Regards sur les ouvrages fortifiés suisses
Sommaire 1ère partie
- Intro
- Bref historique
- Les types d'ouvrages
- Armements
- Le dispositif
- Forts et forteresses
- Positions de barrage
- Bilans
- 22 tourelles de 105
- Conclusion
- Ré-affectations
- À visiter.
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Incroyable fortification helvétique
Regards sur les ouvrages fortifiés suisses
1ère partie
Un survol
Retranchée depuis 1815 derrière sa neutralité, la Suisse n'a pas estimé utile pendant longtemps de développer une véritable politique de fortification de son territoire. Ce n'est que vers la fin du 19e siècle qu'apparaissent les premiers ouvrages dignes de ce nom. Il est vrai que les voies de passage de l'époque n'étaient pas celles d'aujourd'hui et que les Alpes se présentaient alors telles une barrière difficile à franchir, voire infranchissable une partie de l'année. L'ouverture du tunnel ferroviaire du St Gothard en 1882 puis du Simplon en 1906 changea la donne. Mais c'est surtout à la fin des années 1930, durant le conflit de 1939-1945 et pendant la période de la Guerre froide de 1947 à 1990 que la fortification prendra en Suisse un développement considérable, avec une densité, une puissance et une qualité inégalées au monde. Entourée jusqu'au milieu du 20e siècle de puissances fréquemment en conflit – France, Allemagne, Italie, Autriche – et qui pouvaient être tentées d'utiliser son territoire comme voie de passage ou même comme champ de bataille, la Suisse fit alors le choix d'ancrer dans son sol l'arme de dissuasion par excellence qu'était restée jusqu'alors la fortification. Un terrain de montagnes élevées et de vallées encaissées constituant une grande partie de son territoire allait être un élément et un atout particulièrement favorables.
Aperçu des principales voies de passage transalpines obligées nord-sud, ouest-est et inversement.
1830-1890
Le premier véritable fortificateur suisse fut le général Guillaume-Henri Dufour (1783-1875) qui se fit remarquer en 1822 puis en 1850 par son traité "De la fortification permanente". À cette époque, vers le milieu du 19e siècle, sortent de terre les premières fortifications permanentes aux frontières, au sud à Bellinzone face à la frontière avec l'Italie, au nord à St. Luzisteig près de celle avec l'Autriche. D'autres, plus modestes, voient le jour de Bâle au lac de Constance lors d'une crise avec la Prusse. L'une des réalisations majeures de Dufour est cependant la fortification du verrou de St-Maurice, à l'entrée de la basse vallée du Rhône, entre 1831 et 1859. La révolution de l'artillerie de 1860 à 1885 va évidemment rendre obsolètes tous ces ouvrages. Mais c'est aussi Dufour qui émit en premier l'idée d'un Réduit national alpin. Durant la même période s'ouvraient de nombreuses voies routières et ferroviaires, rendant le territoire suisse de plus en plus perméable.
1890-1918
La seconde moitié du 19e siècle a en fait été surtout une longue période de discussions, de propositions, d'avant-projets et... de renoncements. Ce n'est que vers 1880-1890 que se concrétise enfin, sous l'impulsion du général Herzog (1819-1894), l'établissement d'ouvrages fortifiés puissants au Gothard, principale voie de passage nord-sud, tant de part et d'autre du col qu'au débouché tessinois du tunnel : fort d'Airolo (1887-1890 + tourelles en 1895) et fort de Motto Bartola (1888-1890) côté Tessin, fort Hospiz (1894) au col, fort de Galenhütten au col de la Furka, et surtout le groupe Andermatt sur la route du col avec les forts de Bäzberg (1892), Bühl (1892) et Stöckli (1894).
En même temps est construite entre 1892 et 1912 dans la vallée du Rhône la forteresse de St-Maurice avec les forts de Savatan et Dailly sur la rive droite, celui du Scex sur la rive gauche. À l'est, ce qui sera plus tard le troisième verrou du Réduit et la forteresse de Sargans n'est encore qu'à l'état de projet.
Au sud, face à l'Italie, l'axe vers le Gothard sera contrôlé par une ligne d'ouvrages entre Locarno et Bellinzone parmi lesquels les forts de Gordola, Magadino et Spina construits entre 1900 et 1915.
Les forts commencés au 19e siècle, complétés par des batteries d'artillerie isolées et des ouvrages d'infanterie, seront essentiellement construits en granit. Le béton viendra les renforcer ultérieurement. Ils resteront en service jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale.
L'entre-deux-guerres 1919-1939
La situation n'évolue guère jusqu'à 1935. Le sort subi en 1914-1918 par les forts belges et certains forts français n'incite guère en faveur de la fortification. Les gesticulations de Mussolini en Italie et surtout la montée du national-socialisme en Allemagne avec l'avènement de Hitler en 1933 faisant soudain peser de nouvelles menaces, états-majors et gouvernement se lancent à partir de 1934 dans un gigantesque programme de défense des frontières et des trois passages obligés, St-Maurice, St‑Gothard et Sargans. Ce vaste chantier national ne s'achèvera qu'en... 1995 à l'issue de la Guerre froide.
De 1939 à nos jours
Ce programme comprendra la réalisation d'un nombre considérable d'ouvrages d'artillerie et d'infanterie, de blockhaus et casemates, de barrages antichars, de lignes d'obstacles en tous genres, d'abris enterrés, de minages, etc. Nommé commandant en chef de l'armée au début de la guerre 1939-1945, le général Henri Guisan (1874-1960) intensifiera ce programme et mettra en œuvre le concept de Réduit national apte à concentrer l'armée sur le massif alpin en cas d'abandon des régions plus vulnérables du pays. Ce Réduit devait s'appuyer sur les trois forteresses de St-Maurice en sud-ouest, du St-Gothard au centre et sud et de Sargans à l'est, et également au nord sur les centres de résistance et portes d'accès au Réduit des secteurs de Thoune et de Lucerne, parmi quelques autres.
25 juillet 1940 – La réunion du Rütli |
Réalisés et armés aux normes des années 1940, les ouvrages seront agrandis et leurs équipements modernisés après guerre et mis aux normes d'une guerre nucléaire et chimique. Quelques nouveaux types d'ouvrages et d'armements verront aussi le jour dans un 2e et ultime stade des années 1980-1990. Vers la fin du 20e siècle, le plan de réforme de la défense nationale "Armée 95" sonnera le glas de la fortification et nombre d'ouvrages seront progressivement abandonnés, souvent vidés, et vendus #1Dès 1995, 40 ouvrages d'artillerie étaient en voie de déclassement et de liquidation. , mais pas tous. Aujourd'hui, si quelques ouvrages sont toujours utilisés par l'armée, d'autres gardés en réserve, une grande partie de ceux-ci est aux mains soit de particuliers fortunés, soit d'associations qui en assurent la maintenance et les font visiter #2Le groupement fort.ch rassemble (en 2019) quelque 59 organismes et associations. On trouvera en fin d'article une liste des ouvrages ouverts aux visiteurs, régulièrement ou sur rendez-vous. www.fort.ch. , soit d'entreprises privées (pyrotechnie, informatique, fromages, vins, musée, hôtel...). Après avoir été vidés, d'autres ouvrages sont à l'abandon, ceux-là et d'autres toujours en vente...
Ouvrages d'artillerie
L'urgence de la fin des années 1930 verra la construction simultanée et d'ouvrages importants normalisés et d'ouvrages plus sommaires réalisés par la troupe. Les premiers forts étaient armés de 2 à 4 canons de 75 de forteresse mais dès le début des années 1940 apparaîtront des pièces de 105 et de puissants canons de 150 en casemate #3 Si initialement ces ouvrages possédaient de 2 à 4 embrasures d'artillerie, ce nombre est rapidement monté à 8 embrasures, voire 12 et même 20 et 22 embrasures pour deux ouvrages. . Réalisés le plus souvent en montagne donc sous roc, ces ouvrages disposeront d'importantes infrastructures souterraines telles que magasins à munitions, atelier, casernements, infirmerie, cuisines, salle des machines avec groupes électrogènes et ventilation filtrée, ainsi que des réserves d'eau et de vivres, et bien entendu un poste de commandement et des moyens de transmissions. Certains ouvrages étaient ravitaillés par téléphérique ou funiculaire, d'autres reliés par funiculaire souterrain. Leurs garnisons variaient de moins d'une centaine d'hommes à plus de 500 pour les plus grands forts. À la fin de la guerre 1939-1940 pas moins de 68 ouvrages de ce type avaient été réalisés et ce nombre n'a guère évolué jusqu'à la fin de la Guerre froide, 45 ans après #478 ouvrages si on ajoute les monoblocs des quatre batteries Bison et de celle, expérimentale, de Halsegg. . Par contre ces ouvrages ont constamment été agrandis et modernisés.
Cette discrète entrée camouflée à flanc d'escarpement est celle d'un ouvrage d'artillerie (Gordola, canton du Tessin).
Les plus gros ouvrages d'artillerie disposaient généralement d'une entrée camions ou funiculaire, d'une entrée secondaire et de plusieurs issues de secours (Magletsch, canton de St-Gall).
Qui devinerait que derrière cette modeste et rustique construction nichée dans la nature s'étend un important ouvrage d'artillerie ? (Niederberg, canton de Glarus).
Vrai et faux rocher camouflent cette autre entrée d'un ouvrage d'artillerie important (Molinära, canton des Grisons).
En terrain escarpé, voire en falaise comme pour de nombreux ouvrages, le téléphérique ou le funiculaire ont été les moyens les plus appropriés pour leur ravitaillement (Follatères, canton du Valais).
L'art du camouflage, comme cette casemate abritant un canon de 75 et ayant l'apparence d'une grange à fourrage, a atteint des sommets en Suisse. La vaste embrasure est en outre fermée normalement "en temps de paix" par un panneau de lattes amovibles (Commeire, canton du Valais). Ces camouflages datent le plus souvent de l'après guerre, autant dans un but militaire qu'écologique compte tenu du trop grand nombre de "bunkers" visibles dans le paysage.
Ouvrages d'infanterie
Les plus importants étaient calqués sur les ouvrages d'artillerie mais en réduction. Possédant de une à plusieurs casemates armées de mitrailleuses et de canons antichars, ils avaient aussi des locaux de repos et généralement au moins un groupe électrogène. Ils avaient pour mission le flanquement d'ouvrages proches, la défense de positions de barrage, l'interdiction d'axes routiers ou ferroviaires, etc. Leur nombre exact est inconnu mais il est sans doute de l'ordre de plusieurs centaines.
Sésame, ouvre-toi, et la roche s'ouvrit ! Au bord d'une petite route côtière s'ouvre en effet l'entrée principale, soigneusement camouflée, de l'ouvrage de défense du lac des 4 Cantons d'Obere Nas (canton de Schwytz).
Seul un œil averti peut déceler dans cette paroi le camouflage des embrasures d'un petit ouvrage d'infanterie (Ruestel, canton de Schwytz).
Ici dépourvues de leur camouflage apparaissent les embrasures d'un autre petit ouvrage d'infanterie, entièrement logé dans le rocher comme une majorité d'ouvrages. De gauche à droite, créneaux antichar, observatoire, mitrailleuse (Steinbach, canton de Schwytz).
Un rocher naturel a permis d'y insérer l'entrée discrète d'un ouvrage d'infanterie comportant deux grosses casemates. Une fois munie de son panneau de camouflage, cette entrée se confond avec le rocher et demeure totalement invisible (Richtbühl, canton de St-Gall).
Derrière un habituel camouflage fait de grillage peint s'ouvre l'entrée avec défense d'un petit ouvrage d'infanterie (Plattenstein, canton des Grisons).
Casemates d'artillerie et d'infanterie
Un grand nombre de casemates et blockhaus d'infanterie – appelés fortins en Suisse – ont également été édifiés, en particulier sur les frontières et en défense rapprochée des ouvrages d'artillerie. Entre Bâle et le lac de Constance par exemple ce sont quelques 350 fortins de ce type qui ont été construits, souvent sur la berge même du Rhin. Ce sont en général des ouvrages solides (1,80 à 2,50 m de béton) mais limités à une ou deux chambres de tir et un local de repos, fréquemment à un étage inférieur.
Dans le dernier quart du 20e siècle, à côté des grands ouvrages d'artillerie toujours opérationnels, priorité est donnée aux positions de barrage antichars #5Dans le seul canton des Grisons on dénombrait près d'une cinquantaine de barrages, et une quinzaine dans celui du Tessin. Il y a 26 cantons en Suisse... truffées de lignes d'obstacles et battues par de nouveaux types d'ouvrages : les monoblocs pour tourelles de 105 Centurion, lances-mines bitubes de 120 et canons de 155 Bison à longue portée.
L'un des 350 "fortins", des casemates d'infanterie solides mais exposées, qui garnissaient la frontière nord sur la rive gauche du Rhin entre Bâle et le lac de Constance. Ces ouvrages ont généralement deux étages et pouvaient agir dans une ou deux directions (Füll-Reuenthal, canton d'Argovie).
Cette énorme construction de camouflage coiffe une grosse casemate d'infanterie. Son vaste créneau abrite un canon antichar, une mitrailleuse et un poste d'observation (Altstätten, canton de St-Gall).
Quelque part dans les alpages, cette fausse grange d'altitude abrite en fait un canon de 105 (Dom. Clément).
Monoblocs Centurion
Ce sont des petits ouvrages, connus sous le nom de Centi, généralement à deux étages : entrée, munitions, local technique (ventilation, groupe électrogène) et chambre de repos au niveau de l'entrée, tourelle de char Centurion à canon de 105 en casemate à un niveau supérieur. Ces tourelles recyclées proviennent de chars déclassés de l'armée suisse. Leur équipage est de 6 à 8 hommes. Prévus à 100 puis à 60 exemplaires, seule une bonne vingtaine a été réalisée. Quelques rares exemplaires complets existent encore aujourd'hui.
Les monoblocs Centi sont des blockhaus antichars totalement enterrés et armés d'une tourelle de 10,5 cm de char Centurion déclassé. Il en existait une vingtaine d'exemplaires sur les positions de barrage.
Monoblocs pour lance-mines de 120
Ce sont des ouvrages plus grands, prévus pour 20 hommes, totalement enterrés, avec un équipement plus complet que les Centi : PC, chambre de tir sous coupole blindée, local de préparation des munitions, salle des machines, ventilation, chambre de repos, réfectoire, issue de secours, etc... Plus d'une centaine d'exemplaires auraient été construits. Ils se répartissent principalement sur les frontières et les voies de passage obligées nord-sud et ouest-est. À l'heure actuelle (2017), il semblerait qu'ils soient gardés en réserve opérationnelle jusqu'à nouvel ordre et non visitables #6À une exception près : l'ouvrage de Foppa Grande, sur les hauteurs d'Airolo (Tessin), qui possède un bloc avec bitube de 12 cm, est parfois ouvert aux visiteurs. La question de ces ouvrages de mortiers de 12 cm est susceptible d'évoluer dans les années à venir et n'est donc pas figée. .
Vue extérieure d'un lance-mines de 120 mm, protection blindée fermée. On voit bien le rail qui permet le pivotement de celle-ci à l'ouverture (doc. AALMA).
Ouvrages monoblocs pour 155 Bison
Le dernier en date des canons à longue portée, les fameux 155 Bison, s'abritait à raison de deux pièces parallèles dans de grosses casemates bien défilées et pourvues des équipements nécessaires à un effectif de 60 hommes : chambre de repos, groupe électrogène, ventilation, et bien entendu magasin à munitions. Chaque batterie comportait deux monoblocs distants de 500 mètres environ, soit 4 canons au total. Seules quatre batteries ont été réalisées #7Auxquelles il faut ajouter, réalisés auparavant, deux monoblocs prototypes dont un devenu musée aujourd'hui (Schweizer Dufour Museum à Halsegg, près de Sattel, canton de Schwytz). Les quatre batteries construites représentent donc au total 8 monoblocs et 16 canons. et elles ont été installées sur les trois môles du Réduit, St-Maurice (une batterie), St-Gothard (2 batteries) et Sargans (une batterie). Elles ne sont pas déclassées aujourd'hui (en 2017) mais gardées en réserve opérationnelle jusqu'à nouvel ordre et donc non visitables.
Façade de tir d'une casemate double pour canons de 15,5 cm 93 L52 Bison. Le camouflage doit correspondre à un environnement de montagne mais paraît un peu excessif. Remarquer les deux volées à l'abri dans leurs logements (J.J. Moulins).
Vue d'un autre ouvrage monobloc pour canons de 15,5 cm Bison à longue portée, bien défilé dans les replis du terrain et camouflé autant que possible.
La taille du personnage donne une idée des dimensions imposantes de ces casemates Bison. À remarquer aussi, le canon de droite à l'abri dans son logement.
Postes de commandement et dépôts
De très nombreux ouvrages souterrains dévolus à des postes de commandement pour les différents échelons locaux ou régionaux, parfois actifs (avec casemate(s) à une ou deux embrasures pour mitrailleuse et pièce antichar), et à des dépôts de munitions et de matériel, ont été réalisés dans tout le pays. Quelques-uns, restés en bon état ou restaurés, peuvent être visités.
Perdue dans la nature, cette entrée insignifiante donne pourtant accès à un petit ouvrage important associant un PC local et deux casemates d'infanterie (PC Vild, St-Gall).
Derrière cette petite entrée dissimulée au pied d'un escarpement et dans la végétation s'étend un ancien dépôt de munitions souterrain. Il est aujourd'hui occupé par le stock d'une entreprise commerciale de vins et spiritueux, et le camouflage de cette entrée a disparu, remplacé par un badigeonnage blanc. Un 2e ouvrage du même type existe aussi à proximité, chacun possédant une alvéole de 40 x 5 mètres environ (Fläsch, canton des Grisons).
Abris troupe
Encore plus nombreux sont les abris enterrés, disséminés dans le terrain et destinés à de petites unités d'infanterie, en particulier les abris préfabriqués et antiatomiques ASU #8ASU, Atomsicherer Unterstand, abri antiatomique. et VOBAG, mais aussi les Kugelbunker ou abris-sphères en forme de poire à deux étages et quelques autres types. Ils se comptent par centaines, voire par milliers...
Des centaines d'abris de différents types et peu apparents en surface parsèment le pays, principalement autour des ouvrages et des fortins. Ils peuvent abriter des petites unités d'infanterie, des postes de commandement ou des installations sanitaires de campagne. Leur dimension est également très variable avec des places pour quelques hommes jusqu'à plusieurs dizaines.
Ce curieux abri Schindler, dont on voit ici l'entrée, possède surtout un étage inférieur, totalement enterré et pouvant abriter 12 à 16 personnes (Lavey, canton de Vaud).
Plus ou moins analogue, cet autre abri Schindler dit Kugelbunker (bunker-boule, mais plutôt en forme de pain de sucre) semble être une version améliorée du type 1.
Jusqu'à 1940 la Défense suisse passait ses commandes d'équipements et armements de forteresse principalement chez Gruson et Krupp en Allemagne, St-Chamond et Schneider en France. À la veille de la guerre 39/45, les livraisons du Reich se faisant souvent attendre, l'armée helvétique est forcée de faire appel à l'industrie du pays. Les Ateliers fédéraux de Thoune et de Berne ainsi que la firme Oerlikon prennent alors le relais et construisent dès les années 1938-1940 et pendant quelque 60 années une étonnante gamme d'armements d'artillerie et d'infanterie de forteresse.
À la veille de la guerre divers matériels de fortification de la génération précédente sont encore en service. Ils resteront souvent en usage jusqu'en 1945. Ce sont des canons ou des obusiers de
- 5,3 cm 1887 L24, portée 3 000 m,
- 5,7 cm 1907 L25, portée 4 000 m,
- 7,5 cm 1903/22 L30, portée 10 000 m,
- 8,4 cm 1871/79/80/88, portée 3 000 m,
- 12 cm 1882, portée 9 000 m puis 10 500 m,
- 12 cm 1891, obusier, portée 5 900 m,
- etc.
Canon de 8,4 cm 1880 dans l'une des cinq casemates du fort d'Airolo (canton du Tessin). Des modèles analogues armaient la plupart des forts de la fin du 19e siècle ainsi que leurs caponnières et parfois jusqu'à la fin des années 1940.
Pour leur propre défense, certains forts de la fin du 19e siècle disposaient de la petite tourelle mobile Gruson-Schumann de 5,3 cm 1887 L24, connue sous la désignation de Fahrpanzer (cuirassement mobile). Transportable sur route, une fois en place sur son poste elle se déplaçait sur une courte voie de 60 jusqu'à son abri. On voit ici deux des trois tourelles entourant le fort d'Airolo, dans le Tessin, mais on la trouvait aussi sur les forts de l'Hospice (St-Gothard), de Bühl et du Stöckli (Andermatt) et de Dailly (St-Maurice).
En 1939-40 c'est le canon de 75 ou 7,5 cm BK 1935/37/38/39 L30 sur affût à flasques qui est roi #9BK, Befestigungskanone, canon de forteresse, que la troupe abrégeait en Bunkerkanone. Les matériels de fortification étant construits en Suisse alémanique et pour ne pas alourdir les textes leur seule désignation en langue allemande sera généralement usitée ici. dans les premiers et nouveaux ouvrages construits. D'autres modèles de 75 suivent dont au moins trois types d'antichars (voir plus loin). Plus puissants, des canons de 105 apparaissent au début des années 1940 tels que les 10,5 cm FK 35 L42 et BK 39 L42, ce dernier sur affût à leviers ou à flasques, et le 10,5 cm TK 39 L52 sous tourelle, ainsi que le 10,5 cm 39/46 L52 antichar et l'obusier de 10,5 cm 42/46 L22. Enfin, simultanément est construit un canon à longue portée, le 15 cm BK 42/46 L42 dont la portée atteignait 24 km.
En attendant des matériels plus spécifiquement de forteresse, c'est un canon de campagne, le 7,5 cm 1903/1922 L30 Krupp adapté sur un affût à leviers, qui arme nombre d'ouvrages dans les années 1940. À raison de 12 coups/minute il a une portée d'environ 10 000 mètres.
Simultanément est mis au point dès 1937 et construit à partir de 1938 un 7,5 cm L30 de forteresse dont on voit ici le modèle 1939 aux essais sur le champ de tir de Thoune. Cadence de tir 20 coups/minute, portée 9 à 12 kilomètres. Environ 75 exemplaires seront construits.
L'un des deux 7,5 cm 1938/39 L30 sur affût à flasques du fort de Reuenthal. On le trouvera aussi dans les autres ouvrages de la frontière tels que Vallorbe, Geissberg, Besserstein, Ebersberg, Heldsberg, ainsi qu'à Fürigen. Le panneau arrondi du haut permet le tir repéré par faible visibilité.
Le canon de 10,5 cm 1939 L42 SL ici sur affût à flasques apportera le complément de puissance que n'avait pas le 7,5 cm. Cadence de tir max. 15 coups/minute, portée 15 puis 18 kilomètres.
Le tube de 10,5 cm L42 découle en fait d'une pièce de campagne de 1935 adaptée en forteresse sur affût à leviers et telle qu'on peut la voir dans les ouvrages de Waldbrand (Thoune) et Champex (Valais).
La tourelle de 105 sera l'armement le plus intéressant de cette période. 22 exemplaires seront opérationnels en 1945 et encore longtemps après #10Deux à St-Maurice, 10 au Gothard, 10 à Sargans. . Dans les années 1950 est conçu un 15 cm TK 58 L42 sous tourelle d'une portée de 24 à 30 km. Prévu pour les trois piliers du Réduit, deux exemplaires seulement seront installés #11Au fort de Dailly, à St-Maurice (Valais) où ils existent toujours. . Le coût du matériel et de son installation #12250 tonnes pour les seuls cuirassements... donneront la préférence aux systèmes bitubes de 12 cm et, plus tard, de 15,5 cm Bison.
Un obusier de 10,5 cm 42/46 L22 a été conçu vers la fin de la guerre et a équipé plusieurs ouvrages comme ceux du barrage de Lona (Tessin) – où il reste au moins trois exemplaires – et de la Burgfluh (Thoune). Sa cadence de tir était de 10 coups/minute et sa portée de 9,7 kilomètres.
Quelques rares exemplaires de 10,5 cm 39/46 L52 antichars ont été mis en fabrication dans les années 1940 et n'ont équipé que deux ouvrages : Tschingel (Sargans) et Cindey (St-Maurice).
Plus puissant et à plus longue portée, le 15 cm 1942/46 L42 est venu compléter la panoplie pendant la guerre. On le voit ici en fabrication aux Ateliers de Thoune. Au moins cinq ouvrages en étaient équipés : Furkels (Sargans), Grimsel (au col du même nom), Sasso da Pigna (St-Gothard), Ursprung et Wissiflue (Festung Stans). Cadence de tir 1 à 4 coups/minute selon élévation, portée 24 kilomètres.
Deux pièces de 15 cm 42/46 L42 (modèle 42 à gauche, 46 à droite) en position de tir dans leurs casemates sous roc.
L'une des 22 tourelles de 10,5 cm 1939 L52 installées pendant la Seconde Guerre mondiale, quasiment toutes avec leur camouflage en faux rocher. Elles existent en totalité encore de nos jours. Ici, l'une des trois de l'ouvrage du Gütsch, sur les hauteurs d'Andermatt et de la route du St-Gothard, à 2300 m d'altitude.
Au plan des armes à tir courbe, à la même période était mis au point le lance-mines de 12 cm 59/83 bitube sous coupole blindée. Etudié dès les années 1950 d'abord avec 6 tubes, ramenés à 4 puis 3 et finalement 2, cet engin a une portée maximale de 10 km et une cadence de tir de 20 coups/minute. Plus d'une centaine d'engins ont été construits (exactement 118 bitubes totalisant donc 236 tubes). Dans les années 1980-1990, le dernier né des canons à longue portée est le 15,5 cm FK 93 Bison dont la portée dépassait 40 km et était même prévue à 60 km mais non réalisée.
Aspects intérieur et extérieur du lance-mines de 120 mm sous coupole blindée. Bien que hors service depuis des années, en 2017 les lance-mines de 120 mm étaient toujours couverts par le secret militaire. À ce jour les photos de ces engins demeurent donc rarissimes mais la situation peut évoluer.
Casemate Bison avec pièces en position de tir en élévation maximale.
Gros plan sur le canon de droite du monobloc précédent.
Aspect intérieur sophistiqué d’une chambre de tir Bison.
En résumé, principaux matériels d'artillerie de forteresse en service entre 1938 et 1995 :
- 7,5 cm FK 1903/22 L30 sur affût à leviers, portée 10 000 m,
- 7,5 cm BK 1937/38/39 L30 sur affût à flasques, portée 11 000 m,
- 8,4 cm 1879/1880, portée 3 000 à 5 000 m (?),
- 10,5 cm BK 1935 L42 sur affût à leviers, 15 700 à 18 000 m,
- 10,5 cm BK 1939 L42 sur affût à leviers ou à flasques, portée 15 700 à 18 000 m,
- 10,5 cm TK 1939 L52 sous tourelle, portée 15 à 21 000 m,
- 10,5 cm 1939/46 L52 antichar, portée antichar 2 000, artillerie 20 000 m
- 10,5 cm 1942/46 L22, obusier, portée 10 000 m,
- 12 cm 1882, portée 9 000 m,
- 12 cm 1891, obusier, portée 5 900 m,
- 12 cm 1959/83 lance-mines bitube, portée 8 à 10 000 m,
- 15 cm BK 1942/46 L42, portée 24 000 m,
- 15 cm TK 1958 L42 sous tourelle, portée 24 000 m,
- 15,5 cm FK 1993 Bison, portée 30 à 40 000 m.
Dans les années 1940 deux antichars dominent : l'arquebuse de 24 mm BK (ou B-Pak) 38 et le 4,7 cm BK 37 L37 #13145 exemplaires en 1945. , parallèlement au 4,7 cm B-Pak 41 L37 sur affût à flasques ou à pivot. Dans les années 1950 ils sont remplacés par le 9 cm Pak 50/57 sur affût à flasques ou à pivot et glissière dont on retrouve de nombreux exemplaires encore aujourd'hui. Des antichars de 7,5 cm apparaissent également tels que les 7,5 cm Pak 37/38 L49 et 7,5 cm Pak 44 L49. Plus puissant mais seulement réalisé en 6 exemplaires, le 10,5 cm 39/46 L52 apparaît à la fin des années 1940. À partir de 1990 c'est le canon de 10,5 cm de la tourelle du char Centurion placée sous béton qui prend le relais. Comme on l'a vu, une vingtaine d'exemplaires seulement de monoblocs Centi ont été réalisés.
L'armement d'infanterie léger est représenté par la mitrailleuse Mg 11, découlant du système Maxim avec refroidissement par eau et en service depuis le début du siècle, et la Mg 51 à refroidissement par air qui lui succède dès les années 1950. La défense rapprochée est confiée au FM Mle 25. Enfin l'arme à tir courbe est le mortier de 8,1 cm Fest Mw 56.
En résumé, principaux matériels antichars et d'infanterie en service entre 1938 et 1995 :
- 24 mm BK 38 (arquebuse) #14Près de 300 exemplaires en 1945.
- 4,7 cm BK 37 L37
- 4,7 cm B-Pak 41 L45 #15L41 pour la version sur affût à pivot, L45 (tube de 2095 mm) pour la version sur affût à flasques.
- 7,5 cm Pak 37 L46 VL #16Des casemates isolées étaient dotées jusqu'en 1981-85 de ce canon antiaérien puis antichar Vickers de 1937 sur affût Vickers.
- 7,5 cm Pak 37 L49
- 7,5 cm Pak 38 L49
- 7,5 cm Pak 44 L49
- 9 cm Pak 50/57
- 8,1 cm Fest Mw 56
- 10,5 cm 39/46 L52
- 10,5 cm Centurion
- Mg 11
- Mg 51
- FM 25.
Au début des années 1940 "l'arquebuse" de 24 mm 38/41 était l'arme antichar d'infanterie la plus répandue (298 exemplaires en 1945 selon Festung Oberland). On la voit ici sur affût de mitrailleuse. Il n'en reste que très peu d'exemplaires aujourd'hui. Jusqu'à 30 coups/minute.
Dans le créneau de droite émerge le canon d'un 24 mm 38/41 tandis qu'à gauche, qui est aussi un créneau d'observation, pointe un FM 25.
Le 24 mm a été très tôt supplanté par le canon antichar de 4,7 cm 37 L37 sur affût à flasques. Un modèle 41 L44,6 a aussi existé sur affût à glissière et pivot. Jusqu'à 25 coups/minute.
Un bel exemplaire de 4,7 cm 37 L37 antichar est en exposition dans l'ouvrage de Reuenthal. On peut remarquer à l'avant du siège du pointeur et tireur le bouton noir de mise de feu d'une poussée du genou.
Dans les années 1950 le 4,7 cm a été à son tour supplanté par l'antichar de 9 cm 1950/57 L32,2 qui existait autant sur affût à flasques que sur glissière et pivot. Toutes les positions de barrage étaient battues par ce canon. Il en subsiste de nombreux exemplaires de nos jours. Environ 25 coups/minute.
Cette large embrasure abrite sous son blindage, de droite à gauche, un canon de 9 cm, un poste d'observation et une mitrailleuse.
Durant la Guerre froide on a vu apparaître des matériels d'importation comme ce 7,5 cm Pak 37 L/46 Vickers sur affût Vickers, un matériel antiaérien à l'origine, dont il existait cinq exemplaires dans la région de Brugg (ou Brougg, au N0 de Zurich), en défense des barrages de la vallée de l'Aar. Ici aussi on peut remarquer la qualité du camouflage. Construits en 1952, le dernier de ces emplacements a été déclassé en 1985. Certaines de ces maisonnettes existeraient toujours mais sans canon !
L'un des rares exemplaires restés entièrement équipés de leur tourelle de char Centurion avec canon de 10,5 cm Vickers-Armstrong à mission antichar des années 1990 demeure à Stammheim, dans le canton de Zurich. Sur la droite, le logement du tube en dehors du service. Des plaques de blindage complémentaires ont été ajoutées aux tourelles ainsi qu'un système de visée tous temps. Portée de 2,5 à 4 km, cadence de tir de 6 à 8 coups/minute.
Les engins à tir courbe étaient représentés par le mortier (désigné lance-mines en Suisse) de 8,1 cm Fest Mw 56/60 placé sous coupole blindée. Portée 3100 mètres, cadence de tir 8 à 10 coups/minute.
Photo d'archives d'une chambre de tir de la galerie de Scex (St-Maurice) avec ses deux Mg 11 à refroidissement à eau (système Maxim). Cette chambre de tir d'un coffre de flanquement comportait en fait quatre mitrailleuses. On en voit ici le côté sud.
Rare ensemble d'une Mg 11 à son poste de tir visible dans l'ouvrage de Magletsch (canton de St-Gall). Produite de 1915 à 1946, calibre 7,5 mm, cadence de tir 435-485 coups/minute.
Vu sous deux angles différents, le cheval de bataille de l'infanterie de forteresse, en l'occurrence la mitrailleuse Mg 51, qui a remplacé les Mg 11 dès les années 1950 et demeure encore très répandue aujourd'hui dans les ouvrages ouverts au public. Calibre 7,5 mm, cadence de tir 1000 coups/minute. A noter que la Mg 51 de forteresse est équipée d'une crosse en caoutchouc alors que la Mg 51 de campagne a une crosse en bois.
Ici l'authenticité historique est rétablie !
Superbe photo d'une chambre de tir armée de deux Mg 51 de l'ouvrage de Gondo (canton du Valais, doc. Ecomuseum Simplon).
La défense rapprochée des ouvrages était confiée au FM 25, ici en exposition dans celui de Grynau. Calibre 7,5 mm, cadence de tir 500 coups/minute, produit de 1924 à 1946.
On verra souvent sur les plans d'ouvrages dans les chapitres qui suivent la légende " Obs/FM " attribuée à l'embrasure latérale des casemates de mitrailleuse. Cela signifie qu'un même créneau pouvait recevoir alternativement une lunette d'observation ou un FM 25. Sur cette photo c'est la lunette qui occupe le montage (doc. APSF).
Ici un FM 25 est en place sur l'affût mixte. Ce sont des pièces rares de nos jours que peu de musées présentent (doc. APSF)
Le dispositif mis en place dès la fin des années 1930 et surtout pendant les années 1940 était, comme souvent, en étroite relation avec le relief du pays. En gros celui-ci se caractérise par :
* une frontière nord marquée par le cours du Rhin et le lac de Constance,
* une frontière ouest qui chevauche le massif jurassien de Bâle à Genève,
* le vaste plateau helvétique du Rhin au Léman, entre Jura et Alpes,
* le massif alpin qui occupe près des 2/3 du pays, du Léman aux frontières de l'est.
La position des frontières
Au nord, la berge du Rhin entre Bâle et son cours supérieur face à l'Autriche vont être fortifiés de 1936 à 1941 par près de 400 casemates d'infanterie espacées en moyenne de 800 à 1000 mètres. Comme on l'a vu, elles sont solidement construites (murs frontaux et dalles de toiture de 1,80 à 2,50 m) mais limitées à une ou deux chambres de tir et un local de repos, fréquemment à un étage inférieur. Elles relèvent généralement de plans-types dits BBB (Büro für Befestigungsbauten, Office des travaux de fortification à Berne).
Cette position nord sera renforcée par trois ouvrages d'artillerie : Reuenthal (2 x 7,5 cm) à l'est de Bâle, Ebersberg (2 x 7,5 cm) au sud de Schaffhouse, Heldsberg (4 x 7,5 cm) au sud-est du lac de Constance.
La frontière à l'ouest, entre Bâle et Genève, sera traitée de la même façon mais avec une densité moindre. Des accords militaires secrets avec la France en sont peut-être une des raisons. Toutefois tous les passages obligés seront défendus par de petits ouvrages d'infanterie sous roc. Il en sera de même dans les Grisons, à l'extrême est du pays, principalement dans la vallée de l'Engadine.
Trois ouvrages d'artillerie s'y ajouteront : Mettembert (1 x 7,5 cm) et Plainbois (2 x 7,5 cm) dans le nord, près de Porrentruy et Delémont, Pré-Giroud (3 x 7,5 cm) dans le sud, près de Vallorbe.
Enfin au sud, dans le canton du Tessin, c'est une position d'avant 1914 de part et d'autre de Bellinzone qui sera renforcée en incluant les forts d'artillerie de Gordola, Magadino et Spina, agrandis et modernisés.
Ce magnifique chalet qui ne cache pas sa nationalité est en fait le camouflage du fortin d'entrée de l'ouvrage de Pré-Giroud.
L'entrée de l'ouvrage de Reuenthal, bien défilée au fond d'une tranchée, est surmontée par son imposant bloc d'observation et de défense à trois niveaux.
L'entrée de l'ouvrage d'Ebersberg s'ouvre en réalité au fond d'un bâtiment de camouflage soigneusement réalisé.
Ici aussi, un baraquement anonyme perdu dans un vallon cache l'entrée de l'ouvrage du Heldsberg.
La position dite d'armée
Bien que dotée d'une certaine profondeur, la position des frontières n'aurait pu arrêter longtemps une offensive ennemie majeure. Egalement peu défendable, faute de relief, le Plateau suisse a cependant reçu une deuxième position dite d'armée. Elle était relativement peu fortifiée (ouvrages de campagne et ouvrages permanents) à l'exception de sa partie nord, sur une ligne Sargans/lac de Walensee/lac de Zurich/cours de la rivière Limmat, la position dite de la Limmat (Limmatstellung) sur laquelle s'échelonnent de nombreux ouvrages fortifiés dont des ouvrages d'artillerie #17Tels ceux de A3856 Besserstein (2 x 7,5 cm), A3863 Geissberg (2 x 7,5 cm), A3962 Homberg (4 x 8,4 cm puis 4 x 12 cm) et A3840 Rein (2 x 7,5 cm) en défense de la vallée de l'Aar. À l'été de 1940, La Limmatstellung comportait 930 ouvrages défensifs et abris permanents et 270 encore en construction, ainsi que 1416 postes de combat de campagne et 364 autres en construction. .
Le Réduit national
Dès 1940, l'état-major opta pour faire du massif alpin un noyau de résistance fortifié de 1er ordre sur lequel se replierait l'armée après abandon des territoires au nord et à l'ouest du pays pris par un ennemi. Cette partie du pays a donc été formidablement organisée en une puissante forteresse truffée de barrages et d'ouvrages minés, d'ouvrages défensifs d'infanterie et d'artillerie, de postes de commandement et de transmissions, de dépôts de matériel, munitions, vivres, etc. tous profondément abrités en souterrain dans le roc des montagnes. Des centaines de kilomètres de galeries ont donc été percées dans le rocher à cet effet en un temps record.
Le Réduit s'étend sur plus de 200 km du lac Léman au sud-ouest à la frontière avec l'Autriche au nord-est, avec une largeur nord-sud moyenne de 90 km. Il s'appuie sur les trois forteresses renforcées de St-Maurice au sud-ouest, du St-Gothard au centre et de Sargans au nord-est. En outre, les accès par le nord sont verrouillés par deux autres forteresses puissantes, celles de Thoune et de Lucerne.
Enfin, toutes les autres voies d'accès au Réduit seront truffées de positions de barrages avec obstacles et minages et seront sous le feu d'ouvrages d'artillerie et d'infanterie.
Détaillons un peu l'historique et les composantes de ces différentes forteresses #18Les dates données sont celles du début et de l'achèvement de la construction initiale. , chacune étant en fait une concentration d'ouvrages et de moyens défensifs interdisant l'ensemble des voies de passage obligées et d'accès au Réduit.
Carte schématique du dispositif fortifié de la forteresse de St-Maurice et de ses approches nord et sud. A l'exception des ouvrages d'infanterie d'Evionnaz et de Vernayaz, seuls les ouvrages d'artillerie ou mixtes y sont représentés.
Construits de 1892 à 1894 sur un promontoire spectaculaire de la rive droite de la vallée du Rhône et complétés jusqu'en 1910, les forts de Dailly et Savatan demeurent presque inchangés jusqu'aux années 1930. Au début de la Grande Guerre ils possédaient ensemble 34 pièces d'artillerie, de 5,3 à 15 cm #19Dont, Savatan : 5 obusiers de 12 cm 1891 Schumann. Dailly : 6 canons de 12 cm Krupp sur affût mobile à éclipse St‑Chamond 1893. . En 1940 sont installées deux tourelles de 10,5 cm 1939 L52 ainsi que 10 pièces de 10,5 cm de campagne en casemates sous roc.
Catastrophe le 28 mai 1946, quand trois magasins avec 450 tonnes de munitions explosent, tuant 10 ouvriers #20Par chance, la troupe (286 hommes) cantonnait à l'extérieur et n'a pas déploré de victime. et détruisant une grande partie de l'ouvrage dont les 10 pièces de 10,5 cm. La même année est néanmoins achevée la liaison par funiculaire intérieur #21Longueur 560 m, dénivelée 382 m (de 868 à 1250 m). entre les deux ouvrages. La reconstruction complète du fort est entamée en 1948, quatre canons de forteresse de 10,5 cm 1939 L42 remplaçant les 10,5 détruits. Enfin, vers 1960 deux tourelles de 15 cm 1958 L42 automatiques s'y ajouteront, suivies plus tard par un lance-mines bitube de 12 cm 1959/83 #22Sans parler d'une importante défense d'infanterie, soit un 9 cm AC, quatre mortiers de forteresse de 8,1 cm, 17 mitrailleuses.... pour le seul fort de Dailly. . En dernier lieu la garnison de Dailly était de 29/101/485 hommes. La mission "artillerie" des deux forts s'arrêtera en 1995 mais jusqu'à une date récente (2017) ils restaient utilisés par l'armée. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Sur la rive gauche en face de Savatan/Dailly, constituée par une ligne de falaises escarpées, le traitement fortifié ne sera pas aussi massif ni aussi précoce. Ce n'est qu'en 1911 qu'est construite dans le rocher la Galerie du Scex, un ouvrage d'artillerie simplifié à 4 pièces de 7,5 cm en deux casemates, ravitaillé par téléphérique en 1922. Entre 1939 et 1946 toutefois il sera considérablement agrandi et renforcé, en particulier par l'adjonction de la batterie de l'Ermitage et ses quatre casemates de 7,5 cm. Avec une infrastructure complétée et modernisée (magasins à munitions, salle des machines, casernement) l'ensemble des deux batteries finira par constituer un ouvrage d'artillerie important.
Entre 1941 et 1946 la position se renforce encore avec la réalisation, à 1 km au nord de l'ouvrage du Scex de celle du fort de Cindey, un grand ouvrage mixte artillerie-infanterie fortement armé. Il possède en effet deux casemates de 10,5 cm, quatre de 9 cm antichar, trois de mitrailleuses, ainsi que 4 postes d'observation. Il est ravitaillé par téléphérique et, curieusement, l'entrée du fort s'ouvre dans une cavité naturelle, la grotte aux Fées ! Cette même grotte relie également le fort de Cindey à celui du Scex. L'une des missions du fort est de battre les divers obstacles de barrage placés dans la vallée.
Derrière cette paroi de faux rocher s'étend l'entrée du grand fort de Savatan. Avec celui de Dailly auquel il est relié par un funiculaire souterrain, il constitue le plus grand ensemble fortifié de Suisse.
L'ouvrage de Cindey abrite une pièce rare, un canon antichar de 10,5 cm 1939/46 L52 dont six exemplaires seulement ont été construits.
Destinée à alimenter les deux ouvrages de Scex et Cindey, la salle des machines de celui de Scex a vu sa capacité nettement renforcée.
Avec ces quatre ouvrages puissants et quelques autres, la forteresse de St-Maurice pouvait interdire le passage par la vallée du Rhône, qu'il soit tenté par le nord ou par le sud de celle-ci à ce niveau. Un obstacle d'une ampleur parfaitement dissuasive.
Cette position majeure était cependant loin d'être isolée dans le secteur Léman-vallée du Rhône. Plusieurs ouvrages d'artillerie renforçaient en outre la défense de ce secteur : en aval ceux de Chillon (6 puis 4 puis 2 x 7,5 cm en casemates), Champillon (2 x 10,5 cm en casemates), Petit Mont et Toveyres (2 x 7,5 cm chacun), en amont celui des Follatères (4 x 7,5 cm et 2 x 10,5 cm en casemates, 2 mortiers de 8,1 cm).
Enfin, dans le même secteur, la défense de l'axe du col du Gd St-Bernard n'a pas été négligée non plus : les forts de Champex (2 x 7,5 cm, 2 x 10,5 cm) et de Commeire (4 x 7,5 cm) et plusieurs ouvrages d'infanterie l'assuraient.
L'ouvrage d'artillerie de Chillon s'ouvre dans la paroi rocheuse à l'arrière du célèbre château de Chillon. Ses diverses casemates sont ici cachées par la végétation.
Vrai et faux rocher voisinent autour de l'entrée du fort de Champillon, niché dans les flancs est de la basse vallée du Rhône.
Un spectaculaire téléphérique ravitaillait les niveaux supérieurs du grand ouvrage des Follatères, un balcon sur la vallée du Rhône.
La galerie principale du fort de Champex, le principal organe de défense sur l'axe du Grand St-Bernard.
L'entrée, camouflage ouvert, du fort de Commeire. Sur la droite, sous son panneau de camouflage se dissimule l'embrasure de la casemate C1 pour un canon de 7,5 cm.
Carte schématique du dispositif fortifié de la forteresse du St-Gothard et de ses approches nord et sud. Seuls les ouvrages d'artillerie ou mixtes y sont représentés. Les forts d'avant 1940 sont indiqués en rose.
Autre secteur majeur et autre voie de passage nord-sud obligée, à 120 kilomètres au nord-est de St‑Maurice se dresse jusqu'à 3000 mètres le massif du St-Gothard avec son col à 2108 mètres. Bien que fréquemment fermé à la circulation, celui-ci a reçu une sérieuse défense instaurée dès 1893 par la construction du fort de l'Hospice (deux obusiers de 12 cm sous tourelle cuirassée) mais surtout à partir de 1939 et 1941 avec celle des grands ouvrages de San Carlo (deux tourelles de 10,5 cm) et de Sasso da Pigna (4 x 10,5 cm puis 4 x 15 cm en casemates). S'y ajoute après la guerre 39-45, au col même, un petit ouvrage enterré avec deux mortiers de 8,1 cm (désigné A8389).
Dominant le col du St-Gothard, le fort de l'Hospice, construit en 1894, aménagé en musée pendant un temps, est aujourd'hui fermé. Au 1er plan, l'emplacement d'une tourelle d'obusier de 12 cm 1891.
L'une des deux seules tourelles de 10,5 cm de l'ouvrage de San Carlo, au col du St-Gothard. Toutefois, par leur portée à 360° elles complétaient judicieusement les feux en casemates, donc à champ limité, de l'ouvrage voisin de Sasso da Pigna.
Image emblématique du grand ouvrage de Sasso da Pigna, installé dans le flanc est du col du St-Gothard. Il s'agit de l'une des deux casemates de la batterie ouest et de son canon de 15 cm 42/46 L42 qui porte à 24 km.
Côté tessinois, au pied du col, à la sortie du tunnel ferroviaire et au débouché des axes routiers, plusieurs ouvrages d'artillerie contrôlaient le passage : le grand fort d'Airolo (ou de Fondo del Bosco, 1887-1895, 2 x 12 cm sous tourelle, 2 x 12 cm obusiers sous tourelle, 5 x 8,4 cm en casemate, 4 x 5,3 cm sous tourelle), les fort de Motto Bartola (1888-1890, 8 x 8,4 cm puis 4 x 12 cm) #23Une extraordinaire galerie de plus de 3 km avec une dénivelée de quelque 400 mètres relie le fort de Motto Bartola à celui d'Airolo et au tunnel ferroviaire. En outre à différents niveaux se ramifient sur cette galerie diverses organisations d'observation et de défense datant de différentes époques, de la fin du 19e siècle à la Guerre froide : postes de mitrailleuses, batterie de canons de 8,4 cm, mortier de 8 cm, batterie de canons de 7,5 cm, casernement, salle des machines équipée, issues de secours, etc. , du Stüei (1892-1894, 2 x 8,4 cm puis, 1952, 4 x 7,5 cm), de Foppa Grande (1936-1939, 1 x 10,5 cm sous tourelle, en 1961 un lance-mines bitube de 12 cm, après 1990 4 x 15,5 cm Bison) ainsi que celui de Grandinagia (1936-1939, 2 x 7,5 cm) vers le col de San Giacomo.
Le fort d'Airolo, construit de 1887 à 1895 et vu ici sous sa façade ouest et son mur d'escarpe, est une véritable montagne de granit. Les embrasures de deux de ses cinq casemates de 8,4 cm percent la carapace de pierre tandis que sur le haut de l'édifice apparaît une tourelle de 5,3 cm.
L'unique tourelle de 10,5 cm de l'ouvrage de Foppa Grande semble toujours garder la route du St‑Gothard, sur les hauteurs d'Airolo. En réalité, avec une portée de plus de 20 km son champ d'action était bien plus ample. Au second plan le vieux fort de Motto Bartola (1888-1890).
Sur l'accès nord au col du St-Gothard, le groupe Andermatt concentre également un nombre impressionnant d'anciens forts et d'ouvrages modernes : les forts de Bühl (1892, 2 x 12 cm sous tourelle, 2 obusiers 12 cm, 2 x 8,4 cm, 3 x 5,3 cm sous tourelle), du Bäzberg (1889-1892, 3 x 12 cm sous tourelle, 4 x 5,3 cm sous tourelles, 3 x 8,4 cm), de Gütsch (dès 1890 puis 1941-42, 3 x 10,5 cm sous tourelle; 1993, 4 x 15,5 cm Bison) et du Stöckli (1894, 2 x 12 cm, 2 x 5,3 cm en tourelles mobiles), établi sur un sommet à 2460 mètres d'altitude, le fort le plus élevé en altitude entre tous.
À l'ouest d'Andermatt #24Aujourd'hui importante station touristique de montagne sur la route du col du St-Gothard. , un autre groupe d'ouvrages commandait l'accès au St-Gothard par les cols du Grimsel et de la Furka : les forts du Grimsel (1941-1943, 6 x 10,5 cm puis 6 x 15 cm), de Galenhütten (1890-1892, 3 x 12 cm, 2-4 x 8,4 cm) et du Fuchsegg (1941-1943, 4 x 10,5 cm sous tourelle).
Sur les hauteurs d'Andermatt et sur la route du St-Gothard, de la partie active de l'ancien fort de Bäzberg (1889-1892) il ne reste que l'emplacement de ses trois tourelles de 12 cm. Sur la crête à gauche, à plus de 2000 mètres d'altitude, se situent l'ouvrage de Gütsch et le vieux fort du Stöckli.
Trois tourelles de 10,5 cm constituaient l'armement principal de l'ouvrage de Gütsch. Quatre canons Bison de 15,5 cm leur ont succédé dans les années 1990.
L'entrée de l'extraordinaire ouvrage du Grimsel s'ouvre à l'extrémité du barrage du lac du même nom par une infernale galerie en escaliers (700 marches...) jusqu'à la hauteur des œuvres vives. On aperçoit au centre gauche deux créneaux d'observation et d'infanterie. Les créneaux d'artillerie sont situés plus à gauche mais ne sont pas visibles ici.
Le vieux fort de Galenhütten (1890-1892), tout en granit et restauré, contrôlait le passage par la Furka. On en voit bien les deux embrasures verticales de 12 cm et les deux caponnières latérales pour canons de 8,4 cm. Un obusier de 12 cm sous tourelle s'y ajoutait sur la toiture.
Avec ses quatre tourelles de 10,5 cm l'ouvrage du Fuchsegg (se prononce Fouks-egg) pouvait battre un large secteur de plus de 40 km de diamètre (D. Vialard).
Carte schématique du dispositif fortifié de la forteresse de Sargans. A l'exception du PC actif Vild, seuls les ouvrages d'artillerie ou mixtes y sont représentés.
Troisième pilier du Réduit, la position de Sargans sur la vallée du Rhin supérieur, à deux pas de la frontière avec l'Autriche, ne le cédait en rien aux deux autres piliers. Toutefois, à l'exception des fortifications Dufour de Luzisteig de 1830 à 1860, le site n'avait bénéficié d'aucune initiative dans les années 1890 comme à St-Maurice et St-Gothard. Les premiers travaux importants débutent en 1939 et s'étaleront jusqu'en 1943 et même au-delà. Quatre grands ouvrages d'artillerie, trois ouvrages moyens et deux plus petits étaient opérationnels à cette date mais dans certains forts les travaux se poursuivront jusqu'en 1946-47.
Au nord du dispositif et sur la rive gauche, le grand ouvrage de Magletsch (1939-1943, 4 x 7,5 cm en casemates, 3 x 10,5 cm sous tourelle, 2 x mortiers 8,1 cm) et celui du Schollberg (1939, 3 x 7,5 cm en casemates, mitrailleuses et antichars) interdisaient la vallée du Rhin en aval de Sargans. Un peu au sud et en face d'eux, ils étaient flanqués par le contre-ouvrage d'Ansstein (1939-1940, 4 x 7,5 cm en casemates). Au sud de ce dernier, un 4e fort couvrait les précédents, celui de Römerstrasse (1942-1943, 4 x 7,5 cm en casemates).
Des kilomètres de galeries sillonnent le sous-sol de la butte de Magletsch et en font un véritable labyrinthe.
L'ouvrage du Schollberg est en fait la réunion de trois ouvrages d'artillerie et d'infanterie. Ici les entrées matériels et personnels du Schollberg III. L'ensemble possède au total près de 30 embrasures, postes d'observation et de projecteurs, ainsi que 6 entrées et issues de secours.
Prévu à l'origine pour 4 canons de 7,5 cm, l'ouvrage-caverne de Römerstrasse a finalement été armé de quatre obusiers de 12 cm. Deux pièces d'artillerie rapportées équipent de nos jours l'ouvrage dont cet obusier de campagne de 12 cm (doc. Alain Pérouffe).
Côté ouest, deux ouvrages défendaient le couloir venant de la direction de Zurich : ceux de Kastels (1939-1942, 2 x 7,5 cm en casemate, 3 x 10,5 cm sous tourelle) et de Passatiwand (1939-1941, 2 x 7,5 cm en casemates). Ces deux forts pouvaient s'appuyer réciproquement.
Au centre et au sud, le dispositif était complété par deux grands ouvrages et deux plus petits : dans une falaise du Fläscherberg s'étage sur quatre niveaux celui de Tschingel (1940-1946, 1 x 7,5 cm, 4 x 10,5 cm antichars, tous en casemates sous roc) avec mission de barrage en amont de Sargans. Au sud, sur un plateau à 1300 mètres, le puissant ouvrage de Furggels – ou Furkels – (1939-1946, 4 x 10,5 cm sous tourelle, 4 x 15 cm en casemate) couvrait tout le secteur de Sargans.
Enfin, de part et d'autre de Furggels, deux petits ouvrages d'artillerie bouclaient le dispositif, celui de Tamina (1942, 1 x 7,5 cm) au-dessus de Bad Ragaz, et au sud en défense de l'accès par l'est celui de Nussloch (1942, 1 x 7,5 cm).
En pleine paroi du Fläscherberg s'ouvre la station supérieure du téléphérique de ravitaillement du grand ouvrage de Tschingel.
Du 1er étage de l'ouvrage de Tschingel apparaissent dans la falaise, de droite à gauche, l'entrée téléphérique, l'embrasure d'un canon de 7,5 cm et celle d'un poste d'observation. Le camouflage de ces derniers a un peu perdu de son efficacité... Plus haut sur la paroi on peut distinguer deux autres embrasures, attribuées à la DCA.
Un labyrinthe de galeries – près de 4 kilomètres – sillonne le sous-sol du plateau de Furggels en reliant les différents secteurs du grand ouvrage de ce même nom. Sur cette vue, la séparation des galeries vers les étages supérieur et inférieur.
À l'est de la forteresse de Sargans et du canton des Grisons, trois ouvrages d'artillerie assuraient la défense de cette partie orientale du pays : ceux de Molinära (1941-1943, 2 x 7,5 cm en casemates puis 2 x 8,1 cm, remplacés après 1990 par 4 x 15,5 cm Bison), Haselboden (1941-1943, 4 x 7,5 cm en casemates) et Crestawald (1939-1941, 2 x 10,5 cm en casemates prototypes à deux niveaux).
Sur l'axe du col de San Bernardino, l'ouvrage d'artillerie de Crestawald possède entre autres deux larges embrasures pour 10,5 cm BK 39 L42. Une grande partie des chaînes de camouflage et d'éclatement a été déposée afin de mettre en valeur canon et embrasure. L'appareil fixé sur le canon permet de mesurer la vitesse du projectile à la sortie du tube.
Carte schématique du dispositif fortifié de la forteresse Lucerne (Festung Stans). Seuls les ouvrages d'artillerie ou mixtes y sont représentés.
Sur la frange nord du Réduit, deux voies d'accès capitales ont reçu un traitement digne des trois grands piliers précédents au point de constituer également deux autres forteresses majeures, les groupes Lucerne et Thoune. Autour de Lucerne et de son lac des 4 Cantons se concentrent pas moins de sept ouvrages d'artillerie dont le plus grand construit en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, et deux autres plus réduits.
Trois ouvrages bordent le lac des Quatre Cantons tout en contribuant à l'interdiction du secteur et à la couverture des autres ouvrages : les forts de Vitznau (1941-1943, 2 x 10,5 cm en casemates), de Fürigen (1941-1942, 2 x 7,5 cm en casemates) et Kilchlidossen (1941-1943, 4 x 12 cm obusiers puis 4 x 10,5 cm, 4 x 20 mm DCA #25L'ouvrage possède en effet deux casemates doubles sous roc pour une défense contre avions. .).
Au sud-ouest, deux grands ouvrages commandaient l'accès au Réduit par la vallée de Sarnen tout en couvrant les ouvrages du lac : ceux de Durren (ou de Kleiner Durren, 1941-1942, 8 x 12 cm puis 4 x 10,5 cm et 4 x 20 mm DCA) et de Mueterschwanderberg (1941-1944, 22 embrasures d'artillerie dont en 1944 12 x 7,5 cm, 8 x obusiers 15 cm, 2 x obusiers 10,5 cm) #26Enorme ouvrage constitué en fait de trois ouvrages reliés par un funiculaire souterrain et un escalier de 1372 marches ! : Zingel (8 x obusiers 15 cm puis 4 x 10,5 cm), Drachenfluh (2 x 10,5 cm) et Blattiberg (12 x 7,5 cm puis 6 x 10,5 cm). Equipage : 700 hommes. Il en sera question plus longuement en 2e partie. .
Enfin deux derniers ouvrages, implantés dans la vallée d'Engelberg, complétaient le dispositif : les forts Ursprung (1943-1945, 2 x 15 cm) et Wissiflue (1942-1944, 4 x 15 cm).
Difficilement insérée entre le pied d'une falaise, une petite route en corniche et la rive du lac des 4 Cantons, la discrète entrée de l'ouvrage d'artillerie de Fürigen abrite pourtant un poste d'observation et une mitrailleuse Mg 51 de flanquement.
L'ouvrage d'artillerie de Kilchlidossen est sans doute l'un des rares sinon le seul en Suisse (avec l'ouvrage de Kleiner Durren) à posséder deux casemates doubles pour canons antiaériens de 20 mm (doc. APSF).
Les différences de niveau sont telles dans l'énorme et triple ouvrage de Mueterschanderberg que l'installation d'un funiculaire souterrain a été nécessaire. On en voit ici la station supérieure et la cabine (doc. Standseilbahnen.ch).
L'ouvrage d'artillerie de Wissiflue pouvait être atteint et ravitaillé par un funiculaire à câble et à deux cabines pouvant transporter jusqu'à 27 hommes ou 2200 kg de charges. Toute l'installation a été démontée en 2007 (doc. Standseilbahnen.ch).
Dans l'ouvrage d'Obere Nas, au bord du lac des 4 Cantons, un plan incliné équipé d'un petit funiculaire à munitions et matériel relie deux niveaux de l'installation.
Une curiosité lacustre
Le lac des Quatre Cantons pouvant être considéré comme une voie de passage et même d'accès (aquatique) au Réduit, au point le plus étroit du lac (800 mètres), près de Vitznau, ont été établis face à face deux petits ouvrages d'artillerie et d'infanterie. Sur la rive est c'est celui d'Obere Nas (1941-1942, 1 x 7,5 cm en casemate, 2 x 4,7 cm puis 2 x 9 cm antichars, 3 mitrailleuses), tandis que sur la rive opposée demeure celui d'Untere Nas (1941-1942, 1 x 7,5 cm en casemate, 1 x 4,7 cm puis 9 cm antichars, 4 mitrailleuses). Un barrage flottant était également prévu et même une flottille d'intervention.
Carte schématique du dispositif fortifié de la forteresse Thoune (Festung Berner Oberland). Seuls les ouvrages d'artillerie ou mixtes y sont représentés.
À une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de la forteresse Lucerne un dispositif du même ordre était déployé autour du lac de Thoune en défense de deux autres accès majeurs au Réduit, les vallées de la Simme et de la Kander. Sur la rive nord du lac, le pied des falaises du Niederhorn abrite un groupe de trois grands ouvrages, les forts de Schmockenfluh (1941-1942, 4 x 10,5 cm et 2 x 7,5 cm puis 6 x 10,5 cm), Waldbrand (1941-1944, 8 x 10,5 cm) et Legi (1941-1944, 8 x 15 cm obusiers) #27Reliés entre eux par galerie, un petit funiculaire intérieur de secours et... un escalier de 517 marches. Plutôt qu'un ouvrage à part entière, Legi est à considérer comme une batterie annexe de l'ouvrage de Waldbrand. dont les 22 pièces d'artillerie au total couvraient le nord-ouest du lac, ses rives et toute la région de Thoune.
Face au lac de Thoune, la falaise de Schmockenfluh abrite l'ouvrage du même nom et une partie de ses embrasures. De gauche à droite : observatoire, deux embrasures de 10,5 cm, deux de 7,5 cm à l'origine puis de 10,5 cm. La photo est récente et les panneaux de camouflage ont évidemment un peu vieilli (doc. Paebi - Wikipedia).
À peu de distance au nord de Schmockenfluh, dans la même ligne de falaises, s'étend un 2e grand ouvrage d'artillerie, celui de Waldbrand. De ses 8 canons de 10,5 cm il en reste au moins deux et bien visibles, l'ouvrage étant ouvert aux visiteurs, sous conditions (doc. Jean-Marc Birsinger).
Egalement logé en falaise, le 3e ouvrage de ce secteur, celui de Legi, ne possédait comme accès principal qu'un plan incliné avec funiculaire à plateau depuis une petite route en corniche. Tout a été déposé au début des années 2000 et l'entrée murée (doc. Standseilbahnen.ch).
Au sud du lac et de la bourgade de Spiez un groupe de quatre ouvrages d'artillerie ajoutait leurs feux aux précédents : les trois ouvrages moyens de Hondrich (1942-1943, 2 x 7,5 cm et 2 x 10,5 cm, à partir de 1983 4 x 10,5 cm), Faulensee (1941-1942, 4 x 10,5 cm) et Krattigen (3 + 1 x 10,5 cm) et surtout le grand ouvrage de Burgfluh (1942-1943, 8 x obusiers 15 cm et 4 x 7,5 cm, puis en 1985 4 x obusiers 10,5 cm).
Il faut encore ajouter à cet ensemble les trois positions d'artillerie sous béton d'Aeschiried (1942-1945, 4 x 10,5 cm), Heustrich (1942-1943, 4 x 10,5 cm) et Mülenen (1 x 10,5 cm en bunker, 3 x 10,5 cm en casemates ouvertes) ainsi que la casemate prototype d'essai de Hentscheried (1941, 1 x 10,5 cm en casemate camouflée en grange).
En outre, plusieurs autres axes d'accès au Réduit, truffés de barrages antichars, d'emplacements minés, d'ouvrages d'infanterie et d'artillerie, n'avaient pas été négligés non plus. Il en sera question dans la 2e partie.
Rappelons enfin que chacun des ouvrages énumérés ci-dessus était flanqué par un contre-ouvrage, généralement d'infanterie, et pourvu d'une défense contre avions extérieure garnie d'emplacements de canons de 20 mm. Rappelons aussi que cette énumération n'est nullement exhaustive et veut simplement donner un aperçu de la densité et des types d'ouvrages fortifiés qui ont prévalu entre 1940 et 2000.
En 1941 est construit au lieudit Hentscheried, au sud du lac de Thoune, ce prototype de casemate camouflée en grange et abritant un canon de 10,5 cm. Il convient à un terrain peu accidenté dans lequel un ouvrage d'artillerie est difficile à insérer. Il donnera naissance dans les mêmes parages à trois ouvrages de ce type dont deux aux casemates reliées par galerie peu profonde.
Cette grange dans la campagne est en fait l'une des casemates de l'ouvrage de Krattigen pour l'un de ses trois canons de 10,5 cm, le 4e étant celui d'Hentscheried (doc. Jean-Marc Birsinger).
Image emblématique de plusieurs ouvrages dans la région de Spiez, cette fausse grange coiffe le bunker 2 de l'ouvrage de Faulensee et dévoile l'un de ses canons de 10,5 cm.
Le grand ouvrage de Burgfluh et ses 12 pièces d'artillerie à l'origine étaient ravitaillés par un funiculaire depuis la vallée de Wimmis. Au fond, l'entrée-rail de l'ouvrage qui est également l'entrée hommes. Un chemin carrossable y conduit également (doc. Standseilbahnen.ch).
Interlaken
Ce célèbre centre touristique occupe l'étroite bande de terrain plat #28En gros 5 x 3 km, appelé localement Bödeli. qui sépare les deux lacs de Thoune et de Brienz. Afin de pouvoir couper l'axe Thoune-Lucerne qui la traverse et de couvrir l'aérodrome militaire local et le PC de l'état-major général de l'armée dans les années 1940, sous la désignation d'ouvrage 301 cinq petits ouvrages sommaires d'artillerie et de DCA à 2 x 7,5 cm chacun, ainsi qu'un PC de tir, ont été logés dans les falaises des hauteurs entourant la cuvette.
L'une des composantes majeures de la fortification helvétique est incontestablement l'extension, non seulement aux abords des frontières mais dans l'ensemble du pays, du système des barrages antichars. Les percées foudroyantes des panzers allemands durant la campagne de France de mai-juin 1940 n'y étaient pas pour rien. Le principe des positions de barrage en Suisse est de doter toute voie de passage ou d'accès d'obstacles successifs tels que l'avance ennemie se heurte constamment à l'un de ces obstacles et tombe sous le feu des organes défensifs du barrage, sans parler de l'artillerie lourde plus lointaine.
La position de barrage type est constituée comme suit :
- des alignements d'obstacles matériels tels que rails, pyramides de béton, fossés, barrant le terrain sur toute la largeur du passage,
- des obstacles bloquant routes et voies ferrées,
- des emplacements de minages de destruction de routes, ponts, tunnels,
- un ouvrage ou des casemate(s) d'infanterie armé(es) de canon(s) antichar(s) et de mitrailleuses avec mission de battre les obstacles,
- un contre-ouvrage de flanquement de l'ouvrage principal, avec en outre la même mission,
- des abris pour des unités d'infanterie destinées au nettoyage des dessus de ces ouvrages.
Un parmi des centaines d'autres, barrage antichar près de Wimmis, dans le secteur du lac de Thoune (Geri340, Wikimedia Commons).
De nombreuses positions sont constituées selon ce schéma mais lorsque le terrain ne le permet pas intégralement, des adaptations locales sont inévitables. C'est ainsi que des groupes de casemates d'infanterie remplacent ça et là les ouvrages enterrés.
Ces positions de barrage se comptent par centaines à travers le pays et certains cantons tels ceux de Berne et des Grisons en comportent près de 60 chacun. Le record est atteint dans le canton d'Argovie, frontalier du territoire allemand, qui possédait pas moins de 113 positions. Selon leur importance stratégique, ces positions étaient classées d'importance nationale, régionale ou locale.
Un exemple typique parmi beaucoup d'autres est celui de la cluse jurassienne de Frinvillier, dans le canton de Berne. Etabli sur l'axe venant de France Porrentruy-Delémont-Bienne, celui-ci passe à proximité à ce niveau d'un étroit passage naturel obligé, la gorge du Taubenloch, dont la défense présentait des avantages évidents. Dans les années 1940 une route en tunnel et une voie ferrée également en tunnel permettent la traversée de l'obstacle.
L'ouvrage principal a été implanté en 1939-1940 dans un éperon rocheux qui domine les gorges au nord du village. Il est entièrement réalisé en souterrain et comporte une entrée avec organe de défense dans l'ancien tunnel routier – une 2e entrée a été créée plus tard – , deux casemates avec chacune canon antichar de 4,7 puis de 9 cm et mitrailleuse de 7,5 mm. Au cœur de l'ouvrage s'ouvrent les locaux techniques (filtrage de l'air et groupe électrogène) et les chambres du cantonnement de l'équipage. L'ouvrage de Frinvillier peut être visité sur demande, ainsi que son contre-ouvrage.
Dans le même secteur il existe plusieurs autres barrages fortifiés du même type dont les ouvrages peuvent être visités : Kleinlützel (sur l'axe Porrentruy-Bâle), Vorbourg-Soyhières (sur l'axe Delémont-Bâle), Chételat (sur l'axe Porrentruy-Delémont). Les secteurs proches de Bâle-Ville, Bâle-Campagne et Soleure possédaient également de nombreuses positions de barrage, et jusqu'à la berge sud du Rhin.
Vers le sud de l'arc jurassien se retrouve le même dispositif avec au total 25 positions dans le canton du Jura, 38 dans le canton de Neuchâtel, 57 dans ceux de Vaud et de Genève.
Autres exemples de barrages cités dans ce dossier :
- Schollberg (Sargans) v. II-2 - Sommaire Les forteresses du Réduit / Sargans
- PC actif Vild (Sargans) id.
- Stalusa (St Gothard) v. II-2 - id. / St Gothard / Stalusa
- Grimsel Col (Grimsel) id.
- Basse vallée du Rhône (St Maurice) v. II-2 - Sommaire Les forteresses du Réduit / St Maurice
- Fischbalmen (Thoune-Interlaken) v. II-3 - Les portes du Réduit
- La Tine nord et sud (Château-d'Oex) v. II-4 - Les autres accès au Réduit
- Val de Jogne (Gruyères) id.
- Sihlsee (Einsiedeln, Schwyz) id.
- Grütt-Gross (id.) id.
- Grynau (Reichenburg) id.
- Naefels (Glaris) v. II-4 - Niederberg / Beglingen / plan barrage Naefels
- Trimmis (Coire/Chur) v. II-4 - Haselboden
- Albula (St Moritz) v. II-4 - Albula
- Lona (vallée du Tessin) v. II-4 - Défense du Tessin / Barrage de Lona.
Bien que conçu dès 1939-1943, l'un des plus représentatifs parmi ces centaines de barrages est celui de LONA, dans la vallée du Tessin, à la hauteur des villages de Lodrino et Osogna, au sud de Biasca. Il associe lignes d’obstacles, ouvrages d’artillerie et d’infanterie. Il en sera question plus longuement dans la 2e partie.
Le bilan de ce programme étalé sur près de 60 années est non seulement considérable mais même époustouflant. Qui plus est, une grande majorité des ouvrages construits et qui existent encore de nos jours ont été réalisés dans le court intervalle des années 1940-1945. En se référant aux données que l'on peut trouver dans l'excellent " Forts et Fortifications en Suisse " de 1993 (Payot éd.) l'effort humain, technique et financier consenti apparaît plus concrètement.
À la fin de la guerre 39-45 on pouvait dénombrer :
- 68 ouvrages d'artillerie,
- 10 batteries de casemates non armées,
- 1410 petits ouvrages et positions d'artillerie,
- 1545 positions d'infanterie et d'artillerie non armées,
- 995 abris, postes d'observation et de commandement,
- 3263 barrages antichars (longueur des lignes d'obstacles : env. 500 km),
- 20 téléphériques,
- 9 funiculaires à câble,
- 763 baraques.
L'armement de ces ouvrages comprenait alors au total :
Artillerie
- 16 canons de 15 cm,
- 62 canons de 12 cm,
- 62 canons de 10,5 cm,
- 13 canons de 8,4 cm,
- 137 canons de 7,5 cm,
- 6 canons de 5,7 cm,
- 23 canons de 5,3 cm.
Infanterie et DCA
- 113 lance-mines (mortiers) de 8,1 cm,
- 503 canons de 4,7 cm,
- 285 canons de 24 mm,
- 2911 mitrailleuses,
- 1799 mitrailleuses légères (FM),
- 119 canons antiaériens de 20 et 34 mm.
Peu ou prou, cet état subsistera jusqu'aux années 1980 tout en étant complété et modernisé durant la période de la Guerre froide. À l'issue de la période 1970-1980 le bilan des renforcements était donné ainsi :
- 1700 ouvrages minés,
- 2000 obstacles antichars,
- 900 ouvrages fortifiés avec plus de 3000 armes,
- 6000 abris pour la troupe et le commandement (soit pour 1/5 de l'effectif de l'armée).
Enfin, le plan "Armée 1995" prévoyait :
- 1200 barrages,
- 100 installations d'artillerie de forteresse,
- 100 installations pour les organes de commandement,
- 50 centre de transmissions (avec 2000 kilomètres de câbles).
Quelques caractéristiques :
• longueur du tube • recul • protection de la tourelle • poids de la masse tournante • cadence de tir • équipage |
5,46 m jusqu'à 28 cm 30 cm 50 T 6-8 coups/minute 11 hommes |
(D'après Festung Oberland).
L'une des tourelles de 10,5 cm de l'ouvrage de Furkels en cours de montage dans les années 1940 (doc. Festung Furggels).
Où sont installées et où demeurent
les 22 tourelles d'artillerie de 10,5 cm TK 39 L52
♦ St. Maurice | ||
♦ Dailly | 2 | |
♦ St. Gothard | ||
♦ Fuchsegg ♦ Gütsch ♦ San Carlo ♦ Foppa Grande |
4 3 2 1 |
|
♦ Sargans | ||
♦ Castels ♦ Furggels ♦ Magletsch |
3 4 3 |
|
♦ Total | 22 |
L'effort consenti entre 1935 et 2000 pour la réalisation de son système fortifié par une nation de seulement 5 à 6 millions d'habitants à l'époque est tout à fait considérable et même exceptionnel. Il peut se comparer en volume de travaux à la Ligne Maginot qui a demandé un investissement grosso modo approchant mais accompli par un pays industrialisé de 40 millions d'habitants...
Au plan de l'Histoire, on sait qu'au début de la guerre Allemands et Italiens s'étaient entendus pour se partager – sur le papier – le territoire suisse, et que durant la Guerre froide les Soviétiques avaient eux aussi établis des plans d'invasion de la Suisse, mais il ne fait aucun doute que la fortification a joué un rôle majeur en préservant le pays d'une attaque d'envergure et en le laissant en dehors du second conflit mondial. Même si divers autres facteurs importants, hors sujet ici, ont également pu jouer en faveur du respect de la neutralité helvétique. Le coût à payer par un agresseur potentiel pour se frayer un passage à travers des montagnes truffées d'obstacles, de minages et d'ouvrages défensifs puissamment armés aurait été un cauchemar pour n'importe quelle armée ennemie. Et surtout, la destruction inévitable des voies de passage obligées enlevait une grande partie de l'intérêt d'attaquer la Suisse.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Que faire de ces centaines d'ouvrages souterrains, de ces milliers de fortins – dont beaucoup admirablement camouflés en chalet, grange ou maison d'habitation – abandonnés par la défense nationale ? Nombreux sont ceux qui ont été mis en vente et ont trouvé preneur mais combien d'autres, vidés jusqu'au dernier boulon ou presque, sont voués à se dégrader au fil des ans, voire à tomber peu à peu à l'état d'épave ? #29Les grands ouvrages qui n'auraient pas trouvé preneur pour une nouvelle affectation feraient quand même l'objet d'une inspection annuelle de contrôle et de surveillance. . Bien sûr hélas, tout ne peut pas être conservé. Il est cependant réconfortant pour les passionnés de fortification de noter la préservation d'une quarantaine au moins d'ouvrages et de sites dispersés dans l'ensemble du pays.
On a vu que si l'armée se réservait la disposition de quelques ouvrages d'artillerie (Dailly, Magletsch, ouvrages de lance-mines de 12 cm, batteries Bison, entre autres et au moins jusqu'en 2017 inclus), les ouvrages préservés sont en majorité aujourd'hui pris en charge par des associations de bénévoles ou des groupements à vocation touristique, plus rarement par des particuliers, et peuvent être visités (on en trouvera la liste ci-après).
Parallèlement, des ouvrages ont été acquis par des entreprises artisanales ou commerciales. C'est ainsi que des ouvrages sont occupés par des entreprises de pyrotechnie (feux d'artifice) ou de commerce de vins, d'alcools ou de fromages. Une autre y a remisé ses puissants ordinateurs et y stocke pour le monde entier des données précieuses, sensibles, secrètes... Au moins trois gros ouvrages abritent un musée : le fort de Champillon (Vaud) qui se visite est aménagé en musée suisse de l'explosif et de la pyrotechnie. Au col du St. Gothard, l'ouvrage de Sasso da Pigna (Tessin) a été en partie transformé en expositions diverses et peut être visité en entier. Quant à l'ouvrage de Naters (Valais) il est voué à la Garde pontificale suisse du Vatican et peut être également visité. L'ouvrage d'artillerie de San Carlo (au col du St. Gothard, à 2100 m d'altitude) est devenu l'hôtel souterrain La Claustra, au confort spartiate, aux tarifs carabinés mais qui offre une expérience probablement unique en son genre. Enfin, un petit nombre d'ouvrages ont servi pendant un temps de bases et de postes de commandement à une organisation de défense secrète, la P-26 #30Créée pendant la Guerre froide, elle comprenait environ 400 membres et avait son quartier général à Gstaad dans un ouvrage spécial, le Schweizerhof, et des bases réparties dans tout le pays. En cas d'invasion du territoire elle avait pour mission d'organiser une action de résistance par différents moyens y compris armés. Révélée par la presse en 1990, elle a alors rapidement mis fin à son existence. L'ouvrage du Schweizerhof a été vendu en 2015 par la Confédération à une association quelque peu mystérieuse elle aussi, le groupe C-717 . Cette liste n'est pas exhaustive !
Malheureusement aussi, le grand nombre d'ouvrages préservés et ouverts au public sur un territoire somme toute relativement exigu (41 300 km2, France 550 000 km2) provoque inévitablement une inflation de sites et en conséquence un éparpillement des visiteurs et donc un nombre limité d'entrées pour beaucoup d'entre eux. Les ressources étant de ce fait également limitées et la maintenance souvent coûteuse, il y a de quoi s'interroger, voire de s'inquiéter sur la pérennité à moyen et long terme de ces actions pourtant dignes d'éloges. Le bénévolat enfin a lui aussi vite atteint ses limites et nombre d'ouvrages sont rarement ouverts et seulement si un nombre "rentable" de visiteurs se présente... Il est à espérer que la Suisse, pays fortuné s'il en est, trouvera longtemps encore les ressources nécessaires à la préservation de son inestimable patrimoine fortifié.
Suite : la 2e partie qui comporte un aperçu plus détaillé, avec plans et photos, des ouvrages cités ci-dessus et ci-dessous, ainsi que de quelques autres.
Fortification helvétique 2e partie
Ouvrages ouverts aux visiteurs, régulièrement ou sur rendez-vous.
Au nord
♦ Reuenthal (canton d'Argovie/Aarau, ouvrage d'artillerie, musée de blindés et d'armement à Füll)
♦ Ebersberg (canton de Zurich, près de Rüdlingen, au sud de Schaffhouse/Schaffhausen, ouvrage d'artillerie)
♦ Heldsberg (canton de St.Gall/St.Gallen, St. Margrethen, SE lac de Constance/Bodensee, ouvrage d'artillerie).
A l'ouest
♦ Kleinlützel (canton de Soleure/Solothurn, deux petits ouvrages d'infanterie)
♦ Chételat (canton du Jura, près de St. Ursanne, entre Porrentruy et Delémont, petit ouvrage d'infanterie)
♦ Pré-Giroud (canton de Vaud, près de Vallorbe, ouvrage d'artillerie)
♦ Promenthouse (canton de Vaud, près de Gland, entre Lausanne et Genève, ligne d'obstacles et de fortins).
Au sud
♦ Chillon (canton de Vaud, à l'arrière du célèbre château de Chillon, ouvrage d'artillerie et d'infanterie)
♦ Champillon (canton de Vaud, à Corbeyrier, près d'Aigle, SE du Léman, musée de l'explosif, ouvrage d'artillerie)
♦ Dailly (canton de Vaud, près de St. Maurice, Valais, forteresse et très grand ouvrage d'artillerie)
♦ Scex-Cindey (canton du Valais/Wallis, à St. Maurice, ensemble de deux ouvrages d'artillerie reliés)
♦ Evionnaz (canton du Valais/Wallis, entre St. Maurice et Martigny, ouvrage d'infanterie et de barrage)
♦ Champex (canton du Valais/Wallis, au sud de Martigny, ouvrage d'artillerie)
♦ Litroz (canton du Valais, au SO de Martigny et du col de la Forclaz, ouvrage d'infanterie)
♦ Naters (canton du Valais, près de Brigue/Brig, ouvrage d'artillerie, musée de la Garde pontificale suisse du Vatican)
♦ Mondascia (canton du Tessin/Ticino, près de Biasca, petit ouvrage d'artillerie)
♦ Gondo (canton du Valais/Wallis, près de Simplon et du col, ouvrage d'infanterie).
Au centre nord
♦ Spitz (canton de Schwytz, près de Sattel, ouvrage d'artillerie)
♦ Grynau (canton de Schwytz, près de Tuggen, à l'est du lac de Zurich, petit ouvrage d'infanterie)
♦ Ruestel (canton de Schwytz, près d'Einsiedeln, ouvrage d'infanterie)
♦ Niederberg (canton de Glaris, près de Näfels, ouvrage d'artillerie)
♦ Beglingen (canton de Glaris, près de Näfels, ouvrage d'artillerie).
Au centre
♦ Vitznau (canton de Schwytz, sur la rive nord du lac des Quatre Cantons, ouvrage d'artillerie)
♦ Fürigen (canton de Nidwald, près de Lucerne, Stans et Stansstad, rive sud du lac, ouvrage d'artillerie)
♦ Waldbrand (canton de Berne, région de Thoune, près de Beatenberg, rive nord du lac de Thoune, o. d'artillerie)
♦ Fischbalmen (canton de Berne, près d'Interlaken, rive nord du lac de Thoune, petit ouvrage d'infanterie)
♦ Faulensee (canton de Berne, près de Spiez, rive sud du lac de Thoune, ouvrage d'artillerie)
♦ Krattigen (canton de Berne, près de Spiez, rive sud du lac de Thoune, ouvrage d'artillerie)
♦ Heinrich (canton de Berne, près de Spiez, rive sud du lac de Thoune, ouvrage d'observation et de commandement).
Gothard
♦ Stalusa (canton d'Uri, près de Disentis-Mustér et de l'Oberalppass, petit ouvrage d'infanterie)
♦ Hospiz (canton du Tessin/Ticino, au col du St.Gothard, ancien fort de 1894) (musée fermé)
♦ Sasso da Pigna (canton du Tessin/Ticino, au col du St. Gothard, grand ouvrage d'artillerie)
♦ Airolo (canton du Tessin/Ticino, près d'Airolo, grand fort en granit de 1887 à 1895).
A l'est
♦ Magletsch (canton de St.Gall/St.Gallen, près de Sargans, grand ouvrage d'artillerie)
♦ Furkels (canton de St.Gall/St.Gallen, près de Bad Ragaz, grand ouvrage d'artillerie)
♦ Crestawald (canton des Grisons/Graubünden, près de Sufers et du col de San Bernardino, ouvrage d'artillerie)
♦ Albula (canton des Grisons/Graubünden, au nord de St-Moritz, ouvrage d'infanterie).
En outre un certain nombre de fortins, abris-PC, casemates et blockhaus ont été restaurés et rééquipés par des particuliers ou des associations et peuvent être visités sur demande. Il n'en existe pas de liste connue. On peut se renseigner auprès des associations locales ou sur www.fort.ch.